Staline
alors
réorganiser les chaînes de montage, comme s’il avait tout son temps. Appliquant
rigidement sa politique jusqu’au dernier moment, il écarte tous les
avertissements sur l’imminence de l’invasion allemande. Cet entêtement se mue
en aveuglement. Le 2 juin, Goglidzé, résident du NKVD à Kichinev, l’avertit
que les officiers des troupes roumaines, concentrées près de la frontière,
évoquent une offensive germano-roumaine contre l’URSS dès le 8 juin. Au
même moment, Staline affirme à Timochenko : « Vous devez comprendre
que l’Allemagne ne combattra jamais toute seule contre la Russie [1069] . »
Il valorise les informations qui lui confirment qu’Hitler
bluffe et qu’il peut différer la date de l’agression, comme celle de Filitov,
le représentant de Tass en Allemagne et chef-adjoint du réseau du NKVD à
Berlin, qui, le 12 juin, lui télégraphie sa ferme conviction qu’« Hitler
a manigancé un gigantesque bluff. Nous ne croyons pas que la guerre puisse
commencer demain. Le processus va visiblement durer encore. Il est clair que
les Allemands ont l’intention d’exercer sur nous une pression dans l’espoir d’obtenir
les avantages nécessaires à Hitler pour continuer la guerre [1070] », à
savoir les matières premières que Staline lui fournit si obligeamment. Mais,
pour le Führer, le meilleur moyen de les obtenir est de s’en emparer…
Toujours le 12 juin, le Bureau du Comité central du
parti communiste de Biélorussie se réunit avec le général Pavlov, commandant du
secteur militaire. On évoque une attaque allemande imminente. Le Premier
secrétaire du PC de Biélorussie, Ponomarenko, transmet ses informations à
Staline qui lui téléphone aussitôt et, pendant quarante minutes, lui lit une
directive lui interdisant de céder à la provocation et de fournir un prétexte à
une attaque allemande. Deux semaines plus tard, le 25 juin, Staline, pour
effacer le fâcheux souvenir de cette longue leçon, téléphonera à Ponomarenko,
déjà replié de la capitale Minsk sur Moghilev : « Nous savions que
les Allemands se préparaient contre nous, mais nous ne savions pas quand ils
allaient commencer la guerre et où ils allaient effectuer leur percée [1071] . »
Le 13, Joukov et Timochenko demandent à Staline d’ordonner
le déploiement des troupes près de la frontière. Staline refuse et les invite
ironiquement à lire les journaux du lendemain. Un communiqué de l’agence Tass
affirme que les relations germano-soviétiques sont tout à fait normales et
justifie la concentration de divisions de la Wehrmacht sur la frontière : « On
peut penser que le transfert des troupes allemandes vers les zones
septentrionales et orientales de l’Allemagne durant cette dernière semaine a
comme objet de mener à bien des tâches militaires dans les Balkans et que ces
mouvements ont été dictés par des motifs étrangers aux relations
germano-soviétiques [1072] . »
Si le « on peut penser » est dubitatif, pour des cadres militaires
immunisés par les purges contre toute pensée ou initiative individuelle et
formés à l’obéissance passive, cette hypothèse de la direction vaut certitude…
Suite à ce communiqué soporifique, dont la presse allemande ne publiera pas une
ligne, nombre de commandants d’unités rentrent chez eux le soir et les soldats
recommencent à se coucher en paix. Goebbels note dans son Journal une phrase de
Hitler : « Le communiqué de Tass est l’expression de la peur. Staline
commence à trembler devant les événements qui s’approchent [1073] . »
Le soir du 14, Staline invite Joukov et Timochenko au Bureau
politique. Les deux généraux arrivent leurs cartes sous le bras. Joukov insiste
sur la nécessité de placer l’armée en état de préparation au combat. Staline,
qui déambule dans la pièce, explose : « Quoi ! vous êtes venu
nous faire peur en brandissant la guerre, ou bien vous voulez la guerre ?
Vous n’avez pas assez de décorations et d’épaulettes ? » Joukov,
confus, bafouille, se tait et s’assied. Timochenko prend le relais et
affirme : si les troupes restent disposées en l’état, l’offensive
allemande les enfoncera. Staline s’assied et ricane sèchement : « Timochenko
veut nous disposer tous pour la guerre, il faudrait le fusiller », puis,
se tournant vers les membres du Bureau politique, il ajoute : « Timochenko
est en bonne santé, il a une grosse tête mais il a
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