Staline
soldats, quoique punies de
mort, se multiplient.
Affolé par les défaites en cascade, Staline prie, fin
juillet, l’ambassadeur de Bulgarie à Moscou, Stamenov, vieil agent du NKVD, de
transmettre à Hitler, par l’intermédiaire du roi de Bulgarie, une proposition
de paix immédiate contre l’abandon à l’Allemagne des pays baltes, de la
Moldavie, d’une partie de l’Ukraine et de la Biélorussie. Soudoplatov prétendra
qu’il s’agissait d’une manœuvre de désinformation, omettant de dire qui elle
aurait visé. L’Allemagne ? Mais pour quoi faire ? À la vitesse où
avance alors la Werhmacht, Hitler ne peut trouver aucun intérêt à recevoir le
quart ou la moitié de ce qu’il s’attend à conquérir quelques semaines plus
tard. L’Angleterre et les États-Unis, pour les inviter à céder aux demandes
instantes de Staline en leur suggérant l’éventualité, catastrophique pour
Londres, d’une paix séparée ? Mais pourquoi ce roi Boris, pro-allemand,
aurait-il accepté d’informer Londres ou Washington ? Selon Soudoplatov,
enfin, Stamenov omit d’informer son roi de cette proposition. Mais comment
croire qu’un vieil agent du NKVD, dont la femme est employée à Moscou, aurait
pu ne pas exécuter un ordre de Beria ? Si Hitler a été informé de cette
proposition, il n’y a pas répondu.
Le 14 juillet à 15 heures 15, la Wehrmacht
essuie le premier tir d’une pièce d’artillerie, promise à la gloire, qui tire
seize projectiles à la fois : les soldats soviétiques l’appellent
tendrement « Katioucha », les soldats allemands « les orgues de
Staline ». Le 19 juillet, Staline se nomme lui-même commissaire du
peuple à la Défense, et, le 8 août, chef suprême du Grand Quartier
général, rebaptisé depuis le 10 juillet Quartier général suprême du
commandement. Ces deux fonctions, non rendues publiques, s’ajoutent à celles de
Secrétaire général, de président du Conseil des commissaires du peuple, et de
président du Comité de défense. Chef suprême des armées jusqu’à la fin de la
guerre, il concentre ainsi entre ses mains tous les pouvoirs de décision
politique et militaire. En août, il crée des représentants du Grand Quartier
général, dépêchés sur les fronts, chargés de lui faire parvenir chaque jour des
rapports manuscrits, établis en un seul exemplaire et communiqués au secrétaire
de Staline, Poskrebychev, sur l’état de préparation des opérations, leur
déroulement et leurs résultats. Tout manquement vaut à l’intéressé, dès le
lendemain, un coup de téléphone de Staline : « Qu’est ce qui vous
arrive ? Il n’y a rien sur quoi rapporter aujourd’hui [1127] ? » L’obsession
du rapport, du papier, est toujours aussi vive, même en ces jours où tout
semble se déliter.
Le sentiment de son impuissance à arrêter la débandade
plonge Staline dans un état permanent d’irritation exacerbée. Au début, il
traite les généraux comme les membres du Bureau politique, avec désinvolture et
brutalité ; en somme, il se conduit avec les généraux comme avec l’appareil
du Parti, multipliant les résolutions menaçantes pour atteindre des objectifs
irréalistes. Il vérifie tout par lui-même, téléphone directement aux
commandants de front, aux commandants d’armée et de corps d’armée, voire de
régiment, pour se renseigner ou dicter ses ordres par-dessus la tête de l’état-major
et du Grand Quartier général qu’il lui arrive de ne pas informer. Il aggrave
ainsi le désordre. Après cinq à six semaines de pagaille, il comprend qu’il ne
peut continuer ainsi. Il établit alors une règle : l’état-major lui fera
deux rapports par jour sur la situation et ses changements. Dès ce moment, tous
les plans d’opération seront établis à son initiative, discutés avec le chef de
l’état-major et son adjoint, précisés avec les commandants de front, révisés et
visés par lui dans leur version finale.
Il n’en devient pas plus serein pour autant. Joukov évoque à
plusieurs reprises les colères homériques et les sarcasmes dont il accable les
généraux comme l’état-major. Le 9 août, par exemple, il fait lire au
téléphone par Malenkov un message furieux et sarcastique adressé à Tioulenev,
le commandant du front Sud, accusé d’avoir perdu « stupidement et
honteusement deux armées entières [1128] »
encerclées par la Wehrmacht, et dont une quinzaine de milliers
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