Staline
n’est qu’une question de jours [1145] . Cette crainte
renforce son entêtement à propos de Kiev et sa polarisation sur les mesures
répressives. Le 12 septembre, il ordonne de créer dans un délai de cinq
jours, dans toutes les divisions, des détachements de barrage « formés de
combattants sûrs » pour « arrêter la fuite des militaires saisis par
la panique, sans s’arrêter devant l’usage des armes [1146] ».
Le 10 septembre, pour tenir compte de l’épuisement des
troupes qui tiennent avec acharnement depuis deux mois, le GQG ordonne de
décrocher de Smolensk. Pourtant, même si les pertes soviétiques sont lourdes,
la percée allemande sur Moscou est compromise : c’est qu’à l’été sec et
brûlant a succédé, après un très bref été indien, un automne pluvieux. Dans ces
espaces aux routes rares, la boue colle aux chenilles des chars, aux bottes des
officiers, aux roues des camions et aux brodequins des soldats. Le même jour,
la Wehrmacht franchit pourtant le Dniepr. Kirponos, angoissé, demande au GQG l’autorisation
de replier ses troupes. Le 11, Boudionny en personne télégraphie de Poltava à
Staline : « Le repli du front du Sud-Ouest est tout à fait venu à
maturité », tout retard ne peut qu’aboutir « à la perte des troupes
et d’une énorme quantité de matériel ». Il demande de faire replier au
moins les troupes stationnées à Kiev afin de contrer la manoeuvre d’encerclement
engagée par la Wehrmacht. Staline ne bronche pas et ordonne par téléphone à
Kirponos : « Ne pas abandonner Kiev et ne pas faire sauter les ponts
sans autorisation du GQG. » Il oppose, cinq jours durant, un refus obstiné
à la demande de repli. Boudionny insiste sur sa nécessité, Staline le démet de
ses fonctions. Le 14 septembre, le chef de l’état-major du front,
Toupikov, informe Moscou : « Le début de la catastrophe […] est une
question de deux jours. » Staline condamne « le rapport paniquard du
major général à l’état-major général », affirme la nécessité « de ne
pas céder à la panique, de prendre toutes les mesures pour tenir la position
occupée […] d’inspirer à tout le commandement du front la nécessité de se
battre avec obstination, sans regarder en arrière [1147] ». Le 16 septembre,
l’anneau se referme sur les défenseurs de Kiev, à qui Staline donne, dans la
nuit du 17 au 18, l’autorisation de se replier. Trop tard, une fois de plus. La
Wehrmacht, achevant la plus gigantesque opération d’encerclement de la Seconde
Guerre mondiale, capture 450 000 soldats soviétiques, aussitôt
déportés en Allemagne, et s’empare de 2 642 canons, de 1 225 mortiers
et de 64 tanks. Avec les soldats capturés en août et septembre sur ce
front, mais aussi sur celui de Briansk, 665 000 soldats au total sont
tombés en cinq semaines entre les mains des Allemands. Kirponos se suicide.
La veille, le 17, au nord, la Wehrmacht a pris Pavlovsk et
occupé Pouchkino dans la banlieue de Leningrad. La rage dans laquelle le blocus
de Leningrad plonge Staline l’amène à signer l’un de ses ordres les plus sauvages
de toute la guerre. Il est informé que, dans plusieurs cas, les Allemands ont
attaqué des positions soviétiques en poussant devant eux, comme bouclier
vivant, des groupes d’enfants, de femmes, de vieillards qui crient
désespérément aux soldats soviétiques : « Ne tirez pas, Ne tirez pas !
Nous sommes des vôtres ! » Le 21 septembre, il dicte à
Chapochnikov une directive qualifiant de traîtres les victimes et les soldats
qui hésitent à tirer sur ces boucliers vivants : « C’est eux,
écrit-il, qu’il faut liquider les premiers, car ils sont plus dangereux que les
fascistes allemands. Mon conseil est de ne pas faire de sentiment, mais de
cogner sur l’ennemi et sur ses complices, volontaires ou contraints… Cognez à
toutes forces sur l’ennemi et sur ses délégués [ sic ! ], quels qu’ils
soient, fauchez les ennemis, sans vous soucier si ce sont des ennemis
volontaires ou contraints… [1148] »
Dès ce moment, Staline abreuve Churchill de lettres
angoissées demandant l’ouverture à l’ouest d’un second front, qui contraindrait
Hitler à retirer des divisions de l’Est pour les envoyer à l’Ouest, initiative
stratégique qu’il devra attendre jusqu’au 6 juin 1944. Le 29 septembre,
il reçoit les délégués américain et anglais, Harriman et Beaverbrook, effarés
par
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