Staline
la déroute de l’Armée rouge. Beaverbrook craint un effondrement total des
Soviétiques qui permettrait à Hitler de tourner toutes ses forces contre l’Occident.
Cette crainte est le début de la sagesse. Il demande aux États-Unis une
importante aide matérielle que ces derniers ne fourniront qu’au lendemain de l’attaque
du Japon à Pearl Harbor, le 7 décembre 1941. Pendant trois ans,
Roosevelt et Churchill déversent sur Staline déclarations dilatoires et
consolations chaleureuses et admiratives. Mais chaque demande d’ouverture du
second front se heurte à une impossibilité : les Américains manquent de
bateaux et hésitent à se démunir pour fournir à l’URSS avions, camions et tanks
au titre du prêt-bail…
Après un temps d’arrêt au centre, la Wehrmacht reprend son
offensive le 30 septembre en direction d’Orel puis de Viazma. Le jeune
général Koniev, nommé commandant du front à la place de Pavlov, a retenu la
leçon de Staline : il est interdit de reculer. Mais ses troupes étant
enfoncées le 4 octobre, il avertit par téléphone Staline de la menace d’encerclement
qui pèse sur elles ; Staline l’écoute, ne prend aucune décision, puis
interrompt la liaison. Il n’accordera l’autorisation de décrocher que le 6 octobre.
Trop tard encore. Le 7, la Wehrmacht encercle les troupes soviétiques à l’ouest
de Viazma, et deux jours plus tard à Briansk ; seuls quelques régiments
parviennent à forcer le blocus. Le bilan est catastrophique : 64 des 95 divisions
du front Ouest ont été encerclées, 11 brigades blindées sur 13, 50 régiments
d’artillerie sur 62. L’Armée rouge perd 300 000 hommes, 800 tanks
et plus de 600 000 prisonniers ! La route de Moscou est ouverte.
Hitler jubile : « L’ennemi est écrasé et ne s’en relèvera
jamais ! » La prise de la capitale n’est plus qu’une question de jours !
Staline veut traîner Koniev, qui commande le front Ouest, en cour martiale.
Joukov le persuade d’y renoncer. Staline se contente, le 10 octobre, de
remodeler le front, d’en confier le commandement à Joukov, flanqué de Koniev,
et d’en renforcer le contrôle policier en nommant le vice-commissaire à l’Intérieur,
Krouglov, à son conseil militaire. Le 7 octobre, le temps s’est
brusquement dégradé. Aux pluies de l’automne succèdent brusquement les premiers
gels et les tempêtes de neige, qui surprennent une Wehrmacht dont 20 %
seulement des effectifs disposent d’une tenue d’hiver.
L’interprète Valentin Berejkov voit alors pour la première
fois Staline au Kremlin. Il ressent un choc devant ce personnage si différent
de l’image qu’il avait de lui : « D’une taille inférieure à la
moyenne, émacié, le visage ravagé par la variole. Une tunique de coupe
militaire pendait sur sa maigre silhouette. Il avait un bras plus court que l’autre,
presque tout le poignet était dissimulé dans la manche. […]. J’avais l’impression
d’avoir affaire à son double. » Deux gardes du corps l’accompagnent en
permanence à l’intérieur même du Kremlin et de la petite pièce du gouvernement.
Selon Berejkov, le fait d’avoir été, lui, « l’infaillible […], roulé comme
un gamin par le caporal autrichien, l’avait rendu encore plus soupçonneux qu’auparavant ».
Mais il témoigne aussi que les visiteurs de Staline n’étaient pas fouillés
avant d’entrer dans son bureau. Berejkov disposait d’un laissez-passer dans
tout le Kremlin, mais qui ne l’autorisait pas à emprunter le couloir menant à l’aile
du bâtiment occupée par Staline. Or, « pendant les presque quatre années
où je me suis rendu chez Staline, je n’ai pas été fouillé une seule fois et n’ai
été soumis à aucune vérification particulière [1149] ». Par
crainte des agents allemands lâchés dans la capitale, on lui a remis, fin 1941,
comme aux autres employés du Kremlin, un revolver, qu’il est censé avoir rangé
dans son coffre. Et personne ne vérifiera jamais s’il ne le porte pas sur lui
lorsqu’il se rend chez Staline.
À la fin de septembre, le bilan de la guerre est
lourd : l’Armée rouge a perdu plus de 2 millions de soldats faits
prisonniers, tandis que près d’un million et demi sont morts ou disparus, alors
que les pertes totales de la Wehrmacht sont légèrement inférieures à un
demi-million d’hommes. Les territoires de la Russie d’Europe envahis ou menacés
constituaient le premier
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