Staline
encore maintenant en prison ou dans des camps de travail […].
Aucun d’entre eux n’est revenu », et pour cause puisqu’ils ont été
massacrés à Katyn en 1940 par le NKVD sur ordre de Staline et de Beria. Staline
se moque d’eux. Ces officiers « se sont évadés » ! Anders,
interloqué, demande : « Où auraient-ils pu s’évader ? »
Staline répond : « Mais en Mandchourie ! » Quant aux
Polonais encore détenus dans les camps, et dont Sikorski et Anders ont une
liste incomplète, « ils ont à coup sûr été libérés mais ne sont pas encore
arrivés ». Ils sont en route. En revanche, l’accrochage est assez brutal
lorsque Sikorski et Anders décrivent les conditions effroyables dans lesquelles
vivent les Polonais libérés : ils sont installés dans des tentes sans
chauffage par une température de –30 degrés, ne reçoivent qu’une
alimentation dérisoire, n’ont pas d’armement pour s’entraîner, pas de vêtements
chauds. Ils demandent l’envoi de leurs hommes en Iran, où les Anglais les
nourriront et les entraîneront. Staline ricane : Une fois en Iran, vous
irez vous battre avec et pour les Anglais ! Les interlocuteurs ne sont d’accord
que lorsqu’il s’agit de taper sur les juifs. Anders et Sikorski affirment, en
effet, que les juifs polonais enrôlés sont des trafiquants et des
contrebandiers, et ne feront donc jamais de bons soldats. Il n’en veut pas dans
l’armée polonaise. Staline acquiesce : « Les juifs sont de piètres
soldats […]. Oui, les juifs sont de mauvais soldats. » Il développe un peu
plus loin des vues racistes sur « les Slaves […] race jeune qui n’est pas
encore usée [1160] ».
Le lendemain soir, un dîner au Kremlin réunit Staline, les Polonais et une
pléiade de dirigeants, hautains avec eux et serviles devant Staline. Sikorski
affirme l’intangibilité des frontières polonaises d’avant 1939. Staline le
laisse dire. Il a besoin de lui pour le moment.
Une contre-offensive dégage Moscou au début de décembre et
rejette la Wehrmacht à cent kilomètres de la capitale. À la fin de l’année, la
Wehrmacht a laissé sur les champs de bataille près d’un million d’hommes, plus
de 2 000 chars, et s’enlise dans la neige. Le 10 décembre, grisé
par ce succès, Staline impose au GQG une directive d’un irréalisme insensé. Il
assigne à l’Armée rouge la tâche de garantir l’écrasement complet des troupes
hitlériennes en 1942. Il pense aussi déjà à l’épuration ultérieure : le 27 décembre,
il crée, par décision du Comité de défense, les camps spéciaux de filtrage du
NKVD destinés à vérifier prisonniers et civils.
Une semaine avant, les 16, 17, 18 et 20 décembre, il a
reçu par quatre fois le ministre des Affaires étrangères britannique, Anthony
Eden, pour lui proposer deux accords publics et un accord secret, qui reprend,
en plus ambitieux, le protocole secret signé en septembre 1939 avec l’Allemagne
nazie. Il invite l’Angleterre à redessiner toute l’Europe pour la fin de la
guerre. Taillant et retaillant à l’envi dans les frontières, il veut inclure la
Prusse-Orientale dans la Pologne, dont les limites seront repoussées vers l’ouest,
agrandir la Tchécoslovaquie au sud au détriment de la Hongrie, rétablir la
Yougoslavie dans ses anciennes frontières et l’élargir un peu à l’ouest au
détriment de l’Italie (Trieste, Fiume, etc.). Il offre à la Turquie les îles du
Dodécanèse, et un morceau du sud de la Bulgarie habité par des Turcs, et, au
sud, un bout de la Syrie. L’Allemagne devrait être morcelée, l’URSS reconnue
dans ses frontières de 1941 (avec annexion de la Pologne orientale, des pays
baltes et de la Bukovine du Nord). Staline propose à Eden d’installer des bases
militaires sur les côtes françaises, « Boulogne, Dunkerque, etc. [1161] » ;
la Belgique et la Hollande devraient signer une alliance militaire avec l’Angleterre.
Eden, interloqué, s’abrite, pour esquiver ces suggestions
insensées, derrière les États-Unis : Roosevelt, en effet, a exigé du
gouvernement anglais qu’aucune décision concernant le destin de l’Europe d’après-guerre
ne soit prise sans qu’il ait été préalablement consulté. Cette mainmise
préventive de l’Oncle Sam sur une Europe où il ne se bat pas encore irrite
Staline, qui insiste en vain pour que l’annexion des pays baltes soit reconnue
par Londres. Lors de la dernière conversation
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