Staline
Vorochilov.
Depuis quelques mois, l’avance rapide de l’Armée rouge inquiète les Américains.
Et Harry Hopkins souligne que si la Grande-Bretagne et les États-Unis n’agissent
pas vite en Europe, le risque est grand que « l’Allemagne devienne
communiste [1227] ».
Soucieux de ce danger, Roosevelt affirme : « Ce sont les États-Unis
qui doivent prendre Berlin [1228] . »
Mais les troupes alliées débarquées en Italie avec pour objectif premier les
Balkans ne pourront jamais y parvenir : les Alpes y font obstacle. Il faut
donc mettre en œuvre l’opération Overlord de débarquement en France.
La conférence commence le 28 novembre. Avant son
ouverture, Staline dîne avec Roosevelt. Peu sûr de lui, il a fait des efforts
inhabituels d’élégance : sa tunique de maréchal et son pantalon aux bandes
rouges ont été soigneusement repassés, ses bottes caucasiennes souples, où il
enfonce d’ordinaire les jambes de son pantalon, reluisent avec éclat. Des
talonnettes, fixées sous les talons de ses bottes, le font paraître plus grand
que d’ordinaire. Il s’arrange, selon son interprète, pour éviter que « son
visage ravagé par la petite vérole soit trop éclairé ». Après quelques
échanges polis sur la « fameuse pipe de Staline » et les méfaits du
tabac, on passe aux choses sérieuses [1229] .
Roosevelt profite de l’absence de Churchill pour aborder le problème colonial,
puisque ni les États-Unis ni l’Union soviétique ne sont des puissances
coloniales et qu’à son avis les empires coloniaux disparaîtront peu après la
guerre. Staline reste prudemment évasif, mais, soucieux de voir se terminer au
plus vite une guerre qui saigne l’URSS, il propose à Roosevelt de revenir sur l’exigence
de reddition inconditionnelle présentée aux puissances de l’Axe, qui, dit-il,
ne peut qu’exaspérer leur volonté de se battre. Mieux vaudrait demander des
réparations en armes et moyens de transport à livrer par elles en cas d’armistice.
Roosevelt ne relève pas cette suggestion. La guerre, qui ruine l’URSS, renforce
le potentiel économique des Etats-Unis.
Au nom d’impératifs de sécurité, Staline persuade Roosevelt
d’habiter les locaux de l’ambassade soviétique, truffés d’un appareillage d’écoute
ultramoderne. Un jeune agent du NKVD, Irina Zaroubina, s’occupe de l’intendance.
Au cours de ses conversations privées avec ses collaborateurs, Roosevelt se
répand en compliments sur Staline. Dans la discussion, en revanche, il ruse.
Staline répète à Molotov que Roosevelt se moque de lui et cherche à le tromper
en invoquant le Congrès, qui lui interdirait toute concession. « C’est
simplement lui qui ne veut pas et il se dissimule derrière le Congrès. C’est
une plaisanterie ! Il est le chef militaire, le commandant suprême. Qui
oserait lui faire des objections ? Ça lui est très pratique de se cacher
derrière le Congrès. Mais il ne me roulera pas… [1230] »
Staline revient sept fois sur l’ouverture du second front en
Europe occidentale. Les opérations en Italie n’en sont qu’une caricature
puisque, dit-il, les Alpes interdisent aux armées alliées d’attaquer l’Allemagne.
Churchill veut, pour sa part, préparer un débarquement anglo-américain dans les
Balkans pour insérer un coin entre l’Armée rouge d’un côté, la Roumanie, la
Hongrie et l’Autriche de l’autre. Comme Roosevelt le dira à son fils, Staline a
clairement compris l’intention de Churchill qui, en même temps, se refuse à
fixer une date pour Overlord. D’ailleurs, souligne Roosevelt, partisan du
débarquement en France, le commandant en chef de l’opération n’est pas encore
désigné, et sans commandant en chef elle ne peut évidemment être planifiée.
Staline conclut : « Dans ce cas, l’opération Overlord n’est qu’un
sujet de conversation. »
Mais elle est le sujet de conversation principal à Téhéran.
Devant l’obstruction britannique, Staline joue le 30 novembre une variante
de sa vieille comédie de la démission. Il se lève brusquement et dit à Molotov
et Vorochilov : « Nous avons beaucoup trop d’affaires à régler chez
nous pour perdre notre temps ici. On n’arrivera manifestement à rien de sensé. »
Churchill, ignorant les règles de la comédie stalinienne et craignant de voir
la conférence capoter, s’écrie aussitôt : « Le Maréchal m’a mal
compris. On peut fixer la date exacte : mai 1944 [1231]
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