Staline
stalinienne, mais, à la
différence de Kouznetsov, simple, banal et incolore apparatchik, Voznessenski
est un économiste autodidacte mais cultivé ; c’est aussi le seul membre du
Bureau politique, avec Molotov, à oser parfois exprimer un petit désaccord ou
une légère divergence avec Staline. Constantin Simonov en a été le témoin dans
les réunions du prix Staline. S’il est aussi cassant qu’eux, voire plus, avec
les subordonnés, il est capable d’écrire, à la différence des autres membres du
Bureau politique, seulement aptes à proférer des discours creux. Il publie
ainsi, au début de 1947, un ouvrage sur L’Économie de guerre de l’Union
soviétique pendant la période de la guerre patriotique dont Staline a
relu et corrigé le manuscrit, et qui reçoit le prix Staline. Voznessenski, dans
un geste que le Chef juge peut-être tapageur, a transmis les 200 000 roubles
du prix à une organisation sociale. Il prépare maintenant un gros ouvrage sur L’Economie
politique du communisme qui risque de faire ombrage à la gloire du seul « théoricien
marxiste » vivant, Staline.
Les dernières années de règne sont marquées par un incessant
remodelage de l’appareil d’État, dont les motivations sont parfois obscures. La
simple énumération de ces réformes donne le vertige et apparaît comme le
symptôme d’un régime qui cherche vainement à s’institutionnaliser. Certains de
ces remodelages reflètent l’âpre lutte de clans qui ravage l’appareil du Parti.
D’autres prolongent mécaniquement une évolution antérieure ou reflètent la
tentative sans cesse recommencée d’améliorer le fonctionnement d’un appareil du
Parti et de l’État lourd et inefficace. Ainsi, malgré la décision, prise en décembre 1945,
de le convoquer deux fois par mois, le Bureau politique se réunit de plus en
plus rarement. Son éclipse ne libère pas pour autant l’appareil de l’État du
contrôle tatillon auquel se livre celui du Parti. En septembre 1946, les
ministères sont placés sous le contrôle de huit bureaux du Conseil des
ministres, formant un grand Bureau du Conseil, présidé par Staline flanqué de
Molotov, et qui se réunit à intervalles irréguliers.
Cette réorganisation, effectuée dès le retour de vacances de
Staline, se conjugue avec le déclenchement d’une offensive extrêmement brutale
contre les paysans. En pleine période de famine, le 16 septembre, un
premier décret supprime les cartes de rationnement et augmente en fait le prix
des produits alimentaires de 200 à 300 % (sans que soit, par ailleurs,
relevé le prix payé par l’État aux kolkhozes pour les livraisons obligatoires)
et les salaires… de 40 % ! Trois jours plus tard, un nouveau décret
confisque aux kolkhoziens une partie des lopins de terre qu’ils avaient élargis
au détriment de la propriété kolkhozienne durant la guerre, et une partie du
bétail qu’ils avaient acquis. En trois ans, l’État confisquera ainsi aux
paysans près de 6 millions d’hectares. L’article 1 er du
troisième décret exige des kolkhozes la livraison complète de toutes les
commandes de l’État (payées par ce dernier à des prix dérisoires) et leur
accorde le droit de conserver par-devers eux des grains, pour leur consommation
et les semailles de l’année suivante, uniquement lorsque ces livraisons obligatoires
sont effectuées à 100 %. C’est condamner la paysannerie à une semi-famine
permanente.
Staline convoque ensuite un Comité central consacré à l’agriculture,
en décembre 1946, et propose à Khrouchtchev, qui refuse, d’y présenter le
rapport introductif, puis confie celui-ci à l’incolore mais brutal Andreiev, le
meilleur spécialiste en matière de répression dans l’agriculture. Dès que ce
dernier a achevé son texte sur les décrets, Staline interpelle
Khrouchtchev : « Alors ? Qu’est-ce que tu en penses ? »
Khrouchtchev le trouve bon. Staline lui rétorque : « Mais comment, tu
es resté assis, là, complètement indifférent à ce qu’il disait, je t’ai observé [1346] . » C’est
son occupation essentielle pendant les réunions : étudier ses lieutenants,
de son regard en coin, pour dépister tout signe de désaccord, de dissimulation
ou d’hostilité. Trois mois plus tard, Khrouchtchev est limogé, remplacé en
Ukraine par Kaganovitch et s’effondre. Il frôle la mort et doit être placé
plusieurs semaines sous tente à oxygène.
La répression
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