Staline
français et anglais sur l’affaire de
Berlin, multipliant les promesses d’apaisement… que, le lendemain, Molotov
oublie de transcrire sur le papier. Cette opération de diversion, qui contraint
les partis communistes d’Europe centrale à serrer les rangs, lui est trop
utile. Le bruit, confirmé par de sérieux kremlinologues, court alors que
Staline a été mis en minorité au Bureau politique, ce qui ne l’empêchera pas de
partir en vacances fin août.
Le 7 août, la Pravda publie une lettre
autocritique de Jdanov fils, envoyée à Staline qui, par un de ces jeux de
balancier qu’il affectionne, y a fait insérer un avertissement à Lyssenko.
Iouri Jdanov se reproche, certes, sa critique brutale du biologiste, mais
précise, ce qu’il n’a pu faire de sa propre initiative, que « Lyssenko n’a
pas créé d’espèces tant soit peu intéressantes de plantes agricoles ». S’il
a donc raison politiquement, il n’aboutit à rien. Staline n’est donc nullement
aveuglé par le bluff de Lyssenko, qu’il utilise seulement à des fins
politiques.
Frappé par la disgrâce menaçante, Jdanov part se soigner à
Valdaï, non loin de Novgorod, dans un confortable sanatorium pour dirigeants au
milieu des bois. Le 1 er juillet, Malenkov a repris la direction
du Secrétariat. Sa servilité empressée plaît à Staline : à peine a-t-il
donné un ordre que Malenkov mobilise toutes les ressources de l’appareil pour
le mettre en œuvre, et à la réunion suivante il se hâte d’en faire état : « Camarade
Staline, votre ordre a été exécuté. »
À Valdaï, Jdanov est sujet à des attaques d’angine de
poitrine et d’asthme de plus en plus fréquentes. Le 28 août, le Bureau
politique lui dépêche trois grands médecins du Kremlin, Vinogradov, Iegorov et
Vassilenko, et une assistante médicale, Lydia Timachouk. Cette dernière fait un
électrocardiogramme à Jdanov, après une nouvelle attaque, et décèle un
infarctus. Les pontes récusent son diagnostic et autorisent le malade à se
lever et à se promener. Le lendemain, Jdanov fait une autre crise. Timachouk
fait un nouvel électrocardiogramme qui révèle un nouvel infarctus. Les trois
pontes en nient une seconde fois la réalité. Le commandant de la garde
personnelle de Jdanov, à qui elle se plaint, lui conseille d’en informer le
général Vlassik, qui transmet sa lettre à Staline. Le Maréchal note : « Aux
archives. » Vlassik la renvoie donc, pour classement, à Victor Abakoumov,
qui la classe, sans deviner un instant qu’il s’agit d’une véritable bombe à
retardement, et en transmet une copie à Iegorov Le lendemain, les médecins
conseillent à Jdanov d’aller se promener. Il se lève, se rase, lit les
journaux, parcourt son courrier et meurt, foudroyé par un dernier infarctus.
Le communiqué des trois éminents professeurs rappelle qu’il
souffrait d’hypertension artérielle, d’artériosclérose, de fréquentes crises d’angine
de poitrine, d’asthme cardiaque, et attribuent sa mort « à l’arrêt de son
cœur gravement affaibli par la maladie et à l’apparition d’un œdème des poumons ».
Une rapide expertise confirme le diagnostic cavalier des trois sommités
médicales. Iegorov convoque Timachouk, la rabroue sèchement, puis la renvoie.
Quatre ans plus tard, Staline déterrera la lettre enfouie pour lancer l’« affaire
des blouses blanches » contre un groupe de médecins accusés d’avoir
assassiné Jdanov. En 1956, dénoncée par Khrouchtchev, Timachouk protestera dans
une lettre au Comité central : comment pouvait-elle prévoir que ses
lettres serviraient, près de cinq ans plus tard, à fabriquer une « affaire »
contre tous ces médecins qu’elle ne connaissait même pas [1400] ? Une
chose est sûre en tout cas, son diagnostic était juste et celui des sommités
médicales complètement faux. Après sa libération, Vingradov l’admettra…
Pourquoi ces derniers ont-ils persisté dans l’erreur ?
Jdanov aurait-il été liquidé sur l’ordre de Staline ? En janvier 1948,
Jdanov avait déclaré à Milovan Djilas qui s’étonnait de le voir siroter de l’orangeade
au lieu de se joindre aux libations : « Je suis cardiaque. Je suis à
tout moment menacé de mort subite, mais je peux vivre encore très longtemps [1401] . » Les
dernières années de sa vie, il avait effectivement des crises cardiaques
régulières. La perspective d’une disgrâce imminente ne pouvait donc
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