Staline
qu’aggraver
son état. Nul besoin, dans ces conditions, d’abréger ses jours. La désinvolture
des trois pontes s’explique avant tout par l’insouciance et la morgue de
membres de l’élite peut-être conscients que la disgrâce dans laquelle était
tombée leur client n’exigeait pas d’eux une attention très vigilante.
Alors qu’il déplace les pions du Bureau politique et du
Secrétariat, Staline confirme en même temps, par un coup d’éclat brutal, sa
fonction de défenseur de l’appareil et de ses privilèges. Mekhlis, sa vieille
âme damnée, responsable du Comité du contrôle d’État, a lancé, fin mai 1948,
une de ses opérations de vérification de l’appareil étatique. Ainsi, au printemps 1947,
ses services avaient-ils dénoncé les abus du ministre de la Construction
mécanique, Malychev, qui avait, en un semestre, dépensé la coquette somme de 1,8 million
de roubles pour des banquets bien arrosés. Staline n’en avait pas moins laissé
le ministre, blâmé, à son poste.
En ce printemps 1948, Mekhlis envoie ses brigades en
Azerbaïdjan, où une brute mafieuse du clan de Beria, Baguirov, dirige le Parti
et l’État. Les brigades y découvrent un vaste réseau de corruption, de trafic d’influence
et de chantage. L’écho donné au résultat de leur enquête réveille la
population. L’envoyé de Mekhlis, Emelianov, reçoit en quelques jours plus de
mille plaintes écrites et 2 000 demandes d’audience. Baguirov
télégraphie à Staline : les inspecteurs discréditent la direction de la
République. Staline confie à une commission du Bureau politique, dirigée par
Malenkov, le soin de mettre fin à l’activisme des enquêteurs. Deux résolutions,
des 30 juillet et 30 août, dénoncent l’activité des brigades d’enquêteurs
et révoquent Emelianov, interdit de travail au Comité du contrôle. Malgré sa
vieille fidélité à Staline, Mekhlis doit faire son autocritique. Le 26 août,
un arrêté du Conseil des ministres rogne les pouvoirs de son comité et de ses
inspecteurs, qui devront soumettre toute proposition d’information et d’intervention
au gouvernement, seul habilité à traduire les coupables en justice. Les
inspecteurs de Mekhlis, en débusquant la corruption et les trafics de l’élite
dirigeante d’Azerbaïdjan, avaient involontairement mobilisé la population
contre elle. Ce précédent était dangereux pour toute l’élite bureaucratique du
pays. Par les décisions qu’il fait prendre, Staline la rassure et souligne qu’il
fait passer ses intérêts de caste avant ceux de l’État.
S’il encourage et protège la corruption bureaucratique parce
que cette dernière lui garantit collectivement la docilité de ses
bénéficiaires, il écrase en revanche les moindres velléités d’autonomie. Ainsi,
fin août, il engage une nouvelle étape de sa lutte contre celles des
communistes d’Europe centrale. Le Comité central du PC polonais, sur injonction
directe du Kremlin, limoge son Secrétaire général, Gomulka, pour « déviation
nationaliste de droite ». Il accuse Gomulka d’avoir prôné une « voie
polonaise vers le socialisme », méprisé l’apport soviétique à la
libération de la Pologne, eu l’intention, en 1944, de transférer le pouvoir au
gouvernement émigré de Londres, « afin d’installer dans le pays une forêt
de potences pour les communistes [1402] ».
Staline le remplace par Bierut, après avoir mobilisé les juifs du Bureau
politique contre lui (Minz, Berman, Zambrovski). Étant donné la place qu’ils
occupent dans une société polonaise historiquement marquée par l’antisémitisme
catholique, ils ne pourront qu’être entièrement dociles à Moscou, garant de
leur pouvoir.
Staline mène un jeu complexe avec Gomulka. Il le convoque à
Moscou, le 9 décembre 1948, et l’invite à être candidat au Bureau
politique du Parti ouvrier polonais unifié, né de la fusion entre les partis
communiste et socialiste polonais. La conversation a lieu en russe, et sans
interprète. Gomulka n’accepte pas. De retour à Varsovie, il adresse à Staline
une longue lettre pour justifier ce refus, dont il consacre près de la moitié
au nombre excessif de juifs dans les instances dirigeantes du Parti. Gomulka n’y
va pas de main morte : « Une partie des camarades juifs ne se sentent
liés au peuple polonais et donc avec la classe ouvrière polonaise par aucun
lien ou occupent une position que l’on peut
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