Staline
grossière.
Arrêtée quelques jours plus tard, Jemtchoujina est condamnée
à cinq ans de camp, peine commuée en condamnation à l’exil. En refusant de rien
avouer, Jemtchoujina a protégé son époux et sans doute elle-même. Dans le cas
contraire, Staline préparant alors la liquidation de Molotov, elle aurait
figuré en juillet 1952 sur le banc des accusés aux côtés des autres membres
du Comité.
Staline organise en effet, dans toutes les démocraties
populaires, la chasse aux titistes, c’est-à-dire aux dirigeants communistes
suspects de nationalisme, autrement dit d’indépendance à l’égard de Moscou. En mars 1949,
le secrétaire du PC bulgare, Traitcho Kostov, lors de négociations tenues à
Moscou, interdit à ses collaborateurs de fournir sans son autorisation des
renseignements sur l’économie de la Bulgarie aux Soviétiques. Staline
explose : « C’est précisément là-dessus qu’a commencé notre conflit
avec Tito [1407] ! »
En septembre 1949, le procès de Laszlo Rajk, l’ancien ministre de l’Intérieur
de Hongrie, s’ouvre à Budapest. Trois mois plus tôt, en juin, le Comité central
du parti hongrois, après l’arrestation de Rajk, a décidé de démasquer « un
groupe antisoviétique, nationaliste trotskyste », puis bientôt titiste,
dit de Sön-Rajk. Le secrétaire du PC hongrois, Rakosi, a préparé l’affaire avec
Staline. Il lui a soumis l’acte d’accusation qu’il avait élaboré. Ils l’ont
relu ensemble page par page. Rakosi affirmant qu’il n’était pas nécessaire de
condamner à mort les accusés, Staline a opiné. Mais le 22 septembre, deux
jours avant le prononcé du jugement, il télégraphie à Rakosi qu’il revient sur
cette opinion [1408] .
Il est favorable à la condamnation à mort. Certes, il s’agit d’un avis, non d’un
ordre. Mais si Rakosi ne s’y conforme pas, son tour viendra bientôt. Il le sait
ou le sent. Rajk est condamné à mort et pendu.
Trois mois plus tard, le procès de Traitcho Kostov, l’ancien
Secrétaire général du PC bulgare, et de dix de ses « complices » s’ouvre
à Sofia. D’entrée de jeu, tout est clair dans ce procès, suivi par des « référents »
soviétiques ; plus question d’idéologie comme au printemps 1948 avec
Tito. Kostov s’accuse d’avoir adopté des « méthodes de marchandage dans
les relations commerciales avec l’Union soviétique » ; il se
reconnaît coupable de « déviations nationalistes envers l’URSS ».
Aux frontières de la Sibérie, des difficultés bien plus
grandes se dessinent. Staline le disait à Dimitrov et à Kardelj, il a tout
fait, depuis 1945, pour subordonner les communistes chinois à Tchang Kai-shek
et à son régime semi-féodal vermoulu et corrompu. Il a échoué. Une énorme vague
révolutionnaire secoue l’État chinois. Poussée par l’inextinguible faim de
terres des paysans aux pieds nus, attendue dans les villes par les ouvriers qui
haïssent leurs patrons médiévaux, l’Armée populaire chinoise descend du nord,
en balayant l’armée du Kouomintang dont les officiers trafiquent les armes que
les Américains leur livrent à profusion. À la mi-mai 1948, Staline envoie
le sinologue Kovaliov, diplômé de chinois, accompagné de tout un groupe d’experts,
au nord-est de la Chine. En mars 1949, Kovaliov s’installe avec la
direction du PC chinois à Pékin, que l’Armée populaire vient de prendre. Selon
lui, Staline envoie à Mao, en avril, un télégramme dans lequel il l’avertit :
la crainte des « Anglo-Franco-Américains » que l’approche des troupes
communistes chinoises ne crée une situation révolutionnaire dans les pays
frontaliers peut les pousser à décréter le blocus de la Chine et à lui faire la
guerre.
Quelques mois plus tard, Kovaliov communique à Staline des
plans d’un scénario de troisième guerre mondiale, découverts dans les documents
de l’état-major nationaliste. Staline répond aussitôt par télégramme. Après
avoir, quatre ans durant, freiné de toutes ses forces la révolution chinoise,
il pousse maintenant les communistes chinois à l’aventure. Jouant les
fiers-à-bras, il affirme qu’il ne craint ni la bombe atomique ni la guerre, qui
« n’est pas avantageuse pour les impérialistes […] l’Amérique est moins
prête pour l’agression que l’URSS à la riposter [1409] [1410] . L’équilibre
des forces militaires donc serait favorable au « camp socialiste ».
La
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