Staline
Charia, c’est Beria qui est
menacé. Staline attendra trois ans pour jeter Charia en prison et tenter de lui
extorquer des aveux contre son patron.
Les paysans succèdent au secrétaire-poète : le 2 juin 1948,
un décret du présidium du Soviet suprême ordonne la déportation des paysans « refusant
d’accomplir le nombre minimal de "journées-travail" [rémunérées de
façon purement symbolique si l’on considère la pauvreté de la majorité des
kolkhozes] et menant une existence de parasite ». Une nouvelle vague de
paysans est envoyée au Goulag [1396] .
Après les paysans, vient le tour des biologistes. Les
positions du biologiste « prolétarien » Trofime Lyssenko se sont
sensiblement affaiblies au lendemain de la guerre, son frère ayant eu la
mauvaise idée de passer du côté de l’occupant. Staline, quoique partisan de la
responsabilité familiale, ne semble pourtant pas trop lui en vouloir. En novembre 1945,
Lyssenko annonce pompeusement une nouvelle découverte : Darwin s’est
trompé en affirmant la concurrence intraspécifique (entre membres d’une même
espèce), base de la théorie de l’évolution des espèces. Lyssenko transforme en
loi biologique le dicton populaire selon lequel les loups ne se mangent pas
entre eux. Se targuant, à l’instar de Staline, d’être un praticien, il élabore
un grand projet de plantation d’arbres en nid, fondé sur cette théorie, afin de
créer de vastes rideaux d’arbres dans les steppes, pour arrêter les vents et
protéger les cultures de la sécheresse. La Pravda, enthousiaste, publie
un dessin montrant Staline, la pipe dans la main gauche, penché sur une carte
de l’URSS. La légende : « Nous vaincrons aussi la sécheresse »,
entendez : après avoir vaincu la Wehrmacht. Plantées sur des centaines de
kilomètres, les pousses d’arbres obéiront à Darwin et non à Lyssenko, et s’étoufferont
mutuellement par manque d’eau. Lyssenko le thaumaturge n’a jamais rien fait
pousser, si ce n’est dans les colonnes de la Pravda et de L’Humanité.
Après avoir prétendu inventer des espèces nouvelles, le 30 décembre 1946,
lors d’une brève rencontre, Lyssenko présente à Staline quelques épis d’une
espèce dite blé ramifié, venue de Géorgie, qu’il prétend adaptée à tous les
climats et prometteuse de grandioses récoltes. En 1950, un gigantesque monument
de bronze édifié sur la place centrale de la ville d’Ostrog montrera Lyssenko
assis, tendant à Staline, assis lui aussi, des épis ramifiés d’un blé connu
depuis l’Égypte ancienne, pauvre en albumen, assez fragile, de rendement
incertain, et qui exige des semailles espacées. Les riches moissons promises
alors à Staline par Lyssenko resteront toujours virtuelles, et le monument d’Ostrog
sera rasé en 1961, après le retrait du cadavre de Staline du Mausolée à Moscou.
Le 10 avril 1948, le fils d’André Jdanov, Iouri,
époux de Svetlana et donc gendre de Staline, prononce, devant un auditoire d’instructeurs
du Parti, un rapport modérément critique, qu’il présente comme son opinion
personnelle sur Lyssenko, absent de la réunion mais présent dans une salle
voisine, d’où il entend tout. Le surlendemain au soir, Jdanov fils et Chepilov
sont convoqués au Bureau politique dans le bureau de Staline. Ce dernier, l’air
renfrogné, tient dans ses mains le sténogramme du rapport de Iouri Jdanov,
demande si tout le monde l’a lu puis s’élève contre la prétention du jeune
Jdanov. « À l’insu du Comité central », dit-il, il a exposé ses
opinions personnelles pour écraser Lyssenko. Or, « dans le Parti il n’y a
pas d’avis personnels, de points de vue personnels, il y a les avis du Parti ».
Il s’indigne. « C’est une affaire inouïe. […] Lyssenko en a pris pour son
grade. Qui en a donné l’autorisation ? » Tout le monde se tait.
Chepilov finit par avouer que c’est lui. Staline lève vers lui son regard lourd
et lui demande : « Vous ne savez pas que toute notre agriculture
repose sur Lyssenko ? » Puis il s’emporte et menace : « On
ne peut pas laisser cela comme ça. […]. Il faut punir les coupables de façon
exemplaire. Pas Iouri Jdanov. Il est encore jeune. Il faut punir les
"pères" : Jdanov et Chepilov… Il faut soutenir Lyssenko [1397] . » Il
désigne alors une commission d’enquête qui sera présidée par Malenkov. Le lendemain,
Jdanov tance Chepilov pour son imprudente conduite de
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