Staline
qualifier de nihilisme national. »
Il est loin d’être le seul, écrit-il, à penser ainsi, mais, surtout depuis le
plénum d’août, personne n’a le courage de soulever cette question en public « et
le mécontentement s’exprime dans les couloirs ». Il juge « nécessaire
[…] de diminuer peu à peu le pourcentage de juifs dans l’appareil du Parti,
surtout dans les échelons supérieurs [1403] ».
En s’exprimant ainsi, Gomulka pense bénéficier d’une oreille complaisante chez
Staline, dont les adjoints ont mené et mènent une politique de numerus clausus
cachée au grand public, mais connue dans l’appareil, en URSS et dans les partis
frères. Or, Staline est en train de mettre la dernière main à la liquidation du
Comité antifasciste juif. Dès le 3 février 1948, le Secrétariat avait
décidé de dissoudre les unions d’écrivains yiddish et de supprimer les
almanachs en yiddish [1404] .
Le 20 novembre 1948, Abakoumov lui a remis une note à ce sujet.
Staline, le soir même, a fait adopter par le Bureau politique une résolution
présentée comme la mise en œuvre d’une décision (fantôme) du Conseil des
ministres, qui demande à la Sécurité d’État « de dissoudre immédiatement
le Comité antifasciste juif […] centre de propagande antisoviétique qui fournit
régulièrement des informations antisoviétiques aux services de renseignements
étrangers […] de fermer les centres d’impression de ce comité et de confisquer
ses biens ». Mais elle recommande, « pour le moment, [de] n’arrêter
personne [1405] ».
Le lendemain, 21 novembre, le Comité est dissous, le journal Einikait et
tous les autres journaux en yiddish, comme le journal ukrainien Der Stern, sont
interdits, la maison d’édition Der Emes est fermée, son matériel confisqué, et
les plombs du Livre noir sur les atrocités antisémites des nazis en URSS
détruits. Les membres du Comité attendent leur arrestation, mais la Sécurité
les laisse dans l’incertitude et l’angoisse pendant plusieurs semaines.
Trente-cinq jours plus tard, Staline va lancer la campagne antisémite, dite
anticosmopolite. Gomulka veut aryaniser ouvertement l’appareil du Parti et
annonce, dans sa lettre à Staline, que s’il est élu au Bureau politique du
Parti unifié il posera publiquement la question ! Cette fâcheuse franchise
est compromettante. Staline doit l’écarter. Il met donc Gomulka sur la touche,
mais lui épargnera le procès et la potence.
Staline relance alors l’affaire Jemtchoujina, laissée en
plan en 1939. Il fait ainsi coup double : il élargit l’ampleur du complot
nationaliste juif et exerce une pression permanente sur Molotov, menacé de voir
son nom associé au projet de République juive de Crimée, dont les trois auteurs
de la lettre lui ont parlé en février 1944. Dès le 27 décembre,
Abakoumov confronte Paulina Jemtchoujina avec le secrétaire du Comité
antifasciste juif et agent de la Sécurité, Fefer. Ce Fefer l’a vue se rendre à
la synagogue, l’a entendue critiquer la position de Staline sur le problème
juif et parler d’assassinat devant le cercueil de Mikhoels. Elle a beau tout
nier, elle est exclue du Parti. Lors du vote sur cette question au Bureau
politique, son mari, Molotov, s’abstient, et engage aussitôt une procédure de
divorce, avec son accord, puis, le 20 janvier 1949, il adresse à
Staline, mécontent de son abstention, une lettre privée dans laquelle il
condamne comme une faute politique son refus de voter l’exclusion de sa femme
qu’il estime désormais justifiée. Staline a exigé cette humiliante autocritique
écrite afin de pouvoir l’utiliser en cas de besoin. Il se venge en outre de l’obstination
de Jemtchoujina.
Abakoumov hésite à torturer l’épouse d’un membre du Bureau
politique sans une autorisation expresse, que Staline ne lui donne pas. Mais,
amateur des plaisanteries de corps de garde, Staline soumet l’épouse rétive à
une pénible épreuve : la Sécurité contraint deux employés de son ministère
à affirmer qu’ils ont couché avec elle. Lors de la confrontation, ils répètent
des détails scabreux, appris par cœur, sur les positions préférées de leur
prétendue compagne de lit. Jemtchoujina, humiliée, éclate en sanglots. L’enquêteur
de la Sécurité présent glousse : « Ce qu’ils vont rire au Bureau
politique [1406] ! »
Seul Staline pouvait organiser une mise en scène aussi
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