Staline
ne
précise pas s’il envisage de les faire installer en face du Mausolée, mais,
faisant allusion à la parade du 1 er Mai, qui mobilise, des
heures durant, des centaines de milliers de citoyens à l’enthousiasme
obligatoire, il s’attendrit sur leur sort : « Tenez, aujourd’hui, il
n’est pas possible que des gens restent debout six ou sept heures sans pouvoir
se rétablir. C’est difficile. » Et il propose pour les grandes fêtes d’installer
des toilettes mobiles montées sur voitures [1431] .
Le seul ministère des Affaires étrangères soumet à son
examen, pendant les mois d’été 1949, le projet de directive à la
délégation soviétique au premier congrès international des biochimistes, l’invitation
en URSS des équipes de lutteurs tchécoslovaques et finlandais et de l’équipe
hongroise de football Vasas, l’envoi des équipes masculine et féminine
soviétiques de volley-ball au championnat du monde, le remplacement de l’exarque
du patriarcat de Moscou en Europe occidentale et la nomination de l’administrateur
ecclésiastique des paroisses orthodoxes de Hongrie. Cette hypercentralisation
tatillonne s’effectue au détriment même des affaires de l’État. Le courrier du
Kremlin qui lui est apporté chaque jour reste non ouvert dans son bureau de
Kountsevo des semaines, voire des mois durant.
Un comité de 74 dirigeants et académiciens chargé de
préparer le soixante-dixième anniversaire de Staline se réunit le 17 décembre
pour enregistrer les décisions prises ailleurs : organiser une grande
soirée au Bolchoï le 21 décembre, une grande réception gouvernementale au
Kremlin le 22 décembre à partir de neuf heures du soir, attribuer l’ordre
de Lénine à Staline. Il propose de créer de cinq à dix prix Staline
internationaux « pour le renforcement de la paix entre les peuples »
(sans aucun doute une idée de Staline lui-même). Dans les débats, Molotov
souligne : « Les mesures proposées se distinguent par leur grande
modestie. Cela répond à l’esprit et aux désirs du camarade Staline lui-même [1432] . » Pas
question de s’y opposer, on s’en tiendra donc là. Le comité confirme. Les prix
Staline de la paix, décide-t-on notamment, seront attribués le 21 décembre
de chaque année ; les lauréats recevront, outre un diplôme, une médaille
en or représentant Staline et un prix de 100 000 roubles (à l’époque,
le salaire mensuel moyen d’un travailleur était de 70 à 80 roubles). Le
premier de ces prix sera attribué en 1950. Un cinéaste propose qu’il soit
attribué à Staline lui-même. Donner un prix Staline à Staline ? Étrange… L’idée
est rejetée.
La cérémonie se déroule dans une atmosphère de ferveur
religieuse. Staline, à moitié assoupi et le regard vide, paraît vaguement
absent. Au nom du PC hongrois, Mathias Rakosi salue « notre père Staline [1433] ». Toute
la suite est de la même eau… Cet anniversaire suscite un véritable délire
organisé dans le monde entier par les partis communistes des cinq continents.
Staline est le plus grand savant et le plus grand génie de toute l’histoire de
l’humanité et semble même triompher du temps. Plus il se rabougrit et se ride
dans la réalité, plus il rajeunit sur ses portraits. La Pravda du 21 décembre 1949
publie un grand article intitulé « Notre Staline bien-aimé », revu
par lui-même. On reconnaît sa main dans les éloges dithyrambiques et les
métaphores à la cohérence douteuse qui donnent l’impression d’un
pastiche : « Le peuple voit dans le camarade Staline un aigle des
montagnes » qui, « tel un brillant flambeau, illumine la voie vers
les sommets du communisme. Ce nom est l’incarnation du courage, de l’héroïsme,
de la gloire et des grandes victoires des travailleurs qui vivent à l’époque
stalinienne […] et réunit les meilleurs des traits de l’humanité laborieuse,
ses espoirs, et ses attentes, sa puissance et sa gloire […]. Ses plans géniaux
qui jettent les bases de notre grandiose présent et de notre avenir encore plus
radieux […] transforment les travailleurs moyens en combattants, en héros, et
multiplient chaque jour des exploits sans précédent ». L’aigle se
transforme plus loin en pilote qui « surmonte toutes les difficultés,
contourne les écueils, sûr de lui, avec un sens génial de l’anticipation ».
L’aigle pilote est aussi thaumaturge. La Pravda du 17 février 1950
exhorte
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