Staline
soviétique,
Boulganine et Molotov, à goûter avec lui des spécialités préparées à leur
intention. Les deux hommes, mandatés à cet effet, refusent. C’est une première
offense. Le 16 décembre, Staline reçoit brièvement au Kremlin Mao
Tsé-toung, qui lui demande de signer le traité de collaboration. Il esquive la
question et plastronne : « L’Amérique a beau brailler à la guerre,
elle a peur de la guerre plus que tout ; l’Europe a peur de la guerre ;
il n’y a personne pour se battre avec la Chine [1436] . » Il fait
installer Mao dans sa villa la plus éloignée de Moscou, celle où il ne se rend
jamais, à Oussovo, et l’y oublie. Mao insiste et propose de faire venir à
Moscou son ministre des Affaires étrangères, Chou En-laï, pour le signer. Selon
Mao, Staline s’insurge : « Ce serait inopportun, la presse bourgeoise
se mettra à crier que tout le gouvernement chinois se trouve à Moscou ! »
Il refuse ensuite de rencontrer Mao, qui, au bout de quelques jours, téléphone
chez lui. On lui répond que Staline n’est pas là et on lui propose de
rencontrer Mikoian. « Tout cela m’offonsa [1437] », dit
Mao. « Mao était terriblement vexé », confirme l’interprète Kovaliov
qui, mandaté par Staline, proposa à Mao de faire du tourisme dans le pays. Le
dirigeant chinois refusa et répondit qu’il préférait se reposer à la villa, où
il se calfeutra.
Un mois plus tard, on lui remit le texte d’une interview
signée par Staline. Mao y lut avec satisfaction l’annonce que des négociations –
en réalité pas encore ouvertes – avaient commencé à Moscou en vue de la
signature d’un traité d’amitié entre l’URSS et la Chine. L’Angleterre et l’Inde
avaient, au début de janvier 1950, reconnu la Chine populaire. Staline ne
pouvait donc faire moins. Il reçut Mao, le 22 janvier 1950, et
parapha avec lui… un traité de type colonial. À l’initiative de Staline,
souligne Mao, la Mandchourie et le Sin-kiang devenaient zones d’influence
soviétique, et Port-Arthur une base militaire soviétique. Le traité créait quatre
sociétés mixtes qui allaient mettre en œuvre le pillage des richesses de la
Chine au profit de Moscou.
Pour préparer la nouvelle purge, Staline doit donner un
nouveau visage à l’ennemi du peuple. Le trotskyste, c’était hier, le titiste, c’est
pour les démocraties populaires, le juif ne peut pas être proclamé
publiquement. Et voilà qu’il trouve : l’ennemi, aujourd’hui, c’est le
badaud qui manque de vigilance, le « naïf aveugle ». Il le définit,
lors d’une rencontre au Comité central, dès le 30 mars 1949 : « Où
se trouve aujourd’hui le danger principal ? Chez les crétins et les
aveugles naïfs. Notre pays peut périr à cause de ces gens honnêtes mais
aveugles […]. Les ennemis mènent leur politique par la main de ces imbéciles [1438] . » L’ennemi
avéré manipule ainsi l’ennemi inconscient qui se prend et que l’on prend pour
un ami.
La même année, de plus en plus soucieux de sa sécurité
personnelle, il fait construire par les usines ZIS (Usines Staline) une voiture
blindée spéciale. Ce véritable monstre ne se distingue pas par son apparence
extérieure du modèle standard pour dirigeant. Mais les vitres, d’une épaisseur
de 8 millimètres, pèsent près de 100 kilos. La voiture comporte un
double plafond et un double plancher. Le poids total de ce petit tank est de 7,3 tonnes.
Sa disposition intérieure est curieuse. Un vaste espace sépare les sièges avant
du siège arrière, et un strapontin est fixé au dos du siège arrière droit. Son
occupant est à peu près invisible de l’extérieur. C’est sur lui que Staline,
hanté par l’idée d’un attentat, s’assied le plus souvent, tassé devant les deux
gardes confortablement installés… De 1949 au printemps 1953, Staline fait
construire trente de ces voitures. Vingt sont stationnées à Moscou, deux à
Leningrad, les autres, en Crimée, à Sotchi, au Caucase, prêtes à tout moment à
accueillir le guide et ses deux gardes du corps. Après sa mort, Khrouchtchev
les fera fondre. Une seule échappera à la destruction : elle se trouve au
musée des Voitures de Riga…
En janvier 1950, Staline rétablit la peine de mort.
Mais il sait qu’il n’est pas de bonne terreur sans bonne propagande et s’attache
à régler la crise économique menaçante par un mélange de désinvolture, dont la
baisse
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