Staline
ses lecteurs : « Si vous rencontrez des difficultés dans
votre travail ou si vous doutez soudain de vos capacités, pensez à lui, pensez
à Staline […]. Si vous vous sentez fatigués à un moment où vous ne devriez pas
l’être, pensez à lui, pensez à Staline, et votre travail sera achevé à la
perfection. » L’article n’indique pas si la recette vaut aussi pour les
détenus du Goulag. Loin des contraintes moscovites, Paul Eluard chante, lui
aussi, le septuagénaire :
Et Staline pour nous est présent pour demain
Et Staline dissipe aujourd’hui le malheur
La confiance est le fruit de son cerveau d’amour…
Car la vie et les hommes ont élu Staline
Pour figurer sur terre leurs espoirs sans bornes [1434] .
La nature est censée obéir à ses lois : il décide ainsi
d’inverser le cours des fleuves de Sibérie en faisant couler vers le sud leurs
eaux absurdement dirigées vers le pôle à travers la taïga et la toundra
désertiques ; il envisage de barrer la Russie centrale d’une gigantesque
ceinture forestière pour arrêter les vents qui dessèchent l’humus ; ses
innombrables portraits au fronton des palais, dans les bureaux et les usines,
attestent sa jeunesse inaltérée et inaltérable, ses statues dressées partout,
du mont Pamir au canal Volga-Don, de Budapest à Sofia, lui confèrent l’éternité
que les empereurs romains croyaient jadis obtenir en multipliant leurs
effigies, brisées d’ordinaire au lendemain de leur mort… En 1951, il fait
affecter 33 tonnes de cuivre à l’érection d’une statue colossale non loin
de Stalingrad sur le canal Volga-Don. Ce culte tapageur masque le durcissement
de la répression qui s’observe tout au long de 1949 et qui annonce une nouvelle
Terreur. La Sécurité rafle tous les anciens déportés libérés à l’expiration de
leur peine les années précédentes. En mars, pour briser la résistance
nationaliste, il a fait déporter en Sibérie 32 000 Lituaniens (qui s’ajoutent
aux 40 000 déportés en 1948), 42 000 Lettons, 20 000 Estoniens.
Près de 100 000 Moldaves sont expédiés en Sibérie au cours de l’année.
Mais ce n’est là encore que broutilles.
Les échecs de sa politique étrangère renforcent la nécessité
de la terreur intérieure. Après la rébellion des communistes yougoslaves en
1948, 1949 est l’année de son revers cinglant en Chine. Staline a appuyé jusqu’au
dernier instant Tchang Kai-shek. Pour justifier ce soutien à son entourage, il
décrit Mao Tsé-toung comme un radis (« rouge à l’extérieur, blanc à l’intérieur »).
C’est la version légumière de l’individu à double face traditionnel, celui dont
il faut se méfier. En juillet 1949, la Sécurité arrête Mikhail Borodine,
vieux bolchevik, longtemps conseiller militaire de Mao. Malgré l’appui
militaire et financier américain, mais aussi le soutien politique de Staline,
le régime de Tchang Kai-shek, qui s’enfuit à Formose avec les débris de son
armée, s’effondre. En octobre 1949, l’Armée populaire chinoise prend
Canton, et la République populaire de Chine est proclamée. Staline, rancunier,
fera fusiller Borodine en mai 1951.
La victoire de la révolution chinoise accroît la défiance,
sinon l’hostilité de Staline à l’égard des communistes chinois. Mao Tsé-toung
en discutera longuement, sept ans après, avec l’ambassadeur soviétique à Pékin,
loudine, l’ancien rédacteur en chef du journal du Cominform. Selon lui, la
première source de cette défiance s’expliquait par la crainte que la Chine ne
devienne une seconde Yougoslavie, crainte qui se vérifiera plus tard. Les mêmes
raisons produisent les mêmes effets : les communistes chinois ayant pris
le pouvoir, comme les Yougoslaves, à la tête d’un profond mouvement populaire
qui balaie l’ancien État, son appareil et les rapports sociaux sur lesquels il
reposait, il y a toutes les raisons de penser qu’ils aspireront à l’indépendance
complète. On me qualifiait alors souvent, dit Mao Tsé-toung, de « Tito
chinois [1435] ».
À la mi-décembre 1949, Mao Tsé-toung se rend à Moscou
pour demander la signature d’un traité de collaboration et d’entraide entre la
Chine et l’URSS qui se substituerait à l’ancien traité signé avec le
Koumomintang. Staline décide d’abord d’humilier le dirigeant chinois. À l’arrivée
du train à Moscou, Mao invite les deux dirigeants de la délégation
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