Staline
la Sécurité. Les auteurs de lettres
débordent tous d’enthousiasme, mais les conversations relevées manifestent un
scepticisme beaucoup plus grand. Un assesseur du tribunal de Moscou déclare
brutalement : « C’est une fiction totale. D’abord parce qu’en
province il n’y a et il n’y aura nulle part de produits et que la vente de pain
s’effectue sur listes. Ensuite, la population n’en tirera aucun profit car on
nous soutirera de toute façon les sommes ainsi économisées par n’importe quel
moyen et sous n’importe quel prétexte. » Il n’est pas le seul à penser
cela, et d’autres prévoient que le gouvernement fera disparaître les produits
dont la baisse est annoncée et les remplacera par d’autres, déclarés de qualité
supérieure, baissera les salaires en augmentant les normes et augmentera l’emprunt
obligatoire. Un spécialiste chiffre même le montant de la double
opération : « Cette année, l’économie effectuée par la baisse des
prix représentera environ 28 milliards de roubles, alors que la
souscription à l’emprunt pour 1952 représentera 42 milliards de roubles.
En fin de compte, les travailleurs perdront 14 milliards de roubles [1462] . »
Comme à l’accoutumée, les échecs de sa politique tant
intérieure (l’inefficacité de la baisse des prix) qu’extérieure (la mise en
veille du Cominform) s’accompagnent d’un tour de vis supplémentaire dans la
répression.
En effet, il prépare dès novembre une gigantesque
provocation antisémite. Bien entendu, l’antisémitisme stalinien, en
contradiction avec la tradition même dont Staline se réclame, ne peut s’af
ficher comme tel. C’est pourquoi, honteux, il se dissimule depuis la fin de la
guerre derrière des formules doucereuses telles que « politique des cadres
incorrecte », « régulation nationale de l’encadrement », « cosmopolitisme
sans racines », etc. En juillet 1949, le document secret de la Cour
suprême, signé par le vice-ministre de l’Intérieur Krouglov, condamnant Achille
Leviton et Ilia Serman à vingt-cinq ans de camp, leur reproche d’avoir affirmé « la
supériorité d’une nation sur les autres nations de l’Union soviétique [1463] ». Laquelle ?
La cour n’ose pas la nommer. Quand Abakoumov envoie une circulaire antisémite à
ses sous-ordres, il fait laisser en blanc par sa secrétaire tous les passages
indiquant la qualité de juifs des victimes désignées et, une fois seul dans son
bureau, les remplit de sa main ! Le chef de la Sécurité d’État, dont le
nom terrorise ses victimes, doit ainsi se cacher de sa propre secrétaire pour
mettre en œuvre la politique antisémite de son maître.
En 1950, Ben Gourion, par une décision ultrasecrète, fait
constituer dans les pays de l’Est, et principalement en Union soviétique, un
réseau d’espionnage appelé Nativ. Staline en est bientôt informé, sans doute
par l’un des principaux conseillers militaires de Ben Gourion, Israël Beer,
chroniqueur militaire régulier du quotidien travailliste Davar, et agent secret
soviétique. Il ne sera démasqué et arrêté qu’en 1961 et condamné alors à
dix-huit ans de prison. La création de Nativ et son activité programmée dans
une Union soviétique qui compte près de 3 millions de juifs encouragent
certainement Staline à inventer un complot sioniste destiné à s’emparer en URSS
de la Sécurité d’État elle-même.
La chasse de Staline aux ennemis supposés ouvre aux clans en
lutte, ainsi qu’aux carriéristes avides de promotion, de vastes opportunités.
Vient en effet le moment où les adjoints n’attendent plus les ordres pour
prendre les initiatives. Après la mort de Staline, Beria soulignera ainsi la
responsabilité personnelle du Chef dans l’assassinat de Mikhoels, mais
affirmera que l’invention du « complot » des nationalistes
mingréliens (du nom du peuple de Géorgie dont Beria est originaire), puis de
celui des Blouses blanches, fut le fruit d’une initiative personnelle d’un
subordonné, le ministre de la Sécurité de Géorgie Roukhadzé, d’un côté, le
lieutenant-colonel de la Sécurité Rioumine, de l’autre.
Selon une note de Beria du 25 juin 1953 [1464] , Rioumine,
chargé d’interroger le médecin Etinguer, arrêté le 18 novembre 1950
pour ses conversations téléphoniques où il se répandait en critiques acerbes
sur le régime et sur Staline, lui soutira l’aveu qu’il avait tué en
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