Staline
1945
Chtcherbakov. Convoqué par Abakoumov, Etinguer revint sur ces aveux, arrachés,
dit-il, sous la torture. Rioumine le fit revenir sur ses dénégations à coups de
poing et de pied. Etinguer en mourut, et Rioumine fut blâmé pour n’avoir pas
établi de procès-verbal des dépositions du médecin. Sentant le sol se dérober
sous lui, ce dernier décide alors de sauver sa tête en dénonçant Abakoumov dans
une lettre à Staline, datée du 2 juillet, où il accuse son chef d’avoir
délibérément freiné l’enquête sur « le médecin nationaliste juif »
Etinguer, et autres crimes de la même eau. Afin de prouver la justesse de son
comportement dans l’affaire Etinguer, Rioumine fabriqua ainsi l’af faire des
prétendus « médecins assassins ».
Selon Beria encore, l’invention du complot mingrélien revint
à Roukhadzé. Ce dernier « donna à Staline des informations mensongères sur
la situation de l’organisation du parti géorgien » et lui présenta les
difficultés politiques et économiques « comme le résultat d’une activité
hostile souterraine d’un groupe de nationalistes mingréliens inventé par lui.
Joseph Staline […] prit pour argent comptant l’information provocatrice de
Roukhadzé [1465] ».
Si cette version des faits est vraie, Staline serait devenu
le prisonnier du système qu’il avait constitué : même si la décision
définitive ou l’arbitrage ultime lui reviennent et s’il met finalement sur la
touche ses hommes de main, les inspirateurs des complots imaginaires, ce
seraient eux et non plus lui.
Mais Beria, en l’occurrence, charge les hommes qu’il veut
liquider. Le complot des médecins assassins fut l’aboutissement logique de la
campagne anticosmopolite et de la liquidation du Comité antifasciste juif.
Peut-être Rioumine, avec son flair de policier, l’a-t-il senti et a-t-il
suggéré la fabrication de ce complot dont Staline a perçu tout de suite l’intérêt.
Le 4 juillet, Staline, en vue de liquider Abakoumov,
constitue une commission d’enquête qui prétend bientôt qu’Etinguer avait, « sans
la moindre pression », avoué ses « intentions terroristes »
lorsqu’il avait soigné Chtcherbakov en 1944-1945, et que c’est pour cette
raison même qu’il l’avait assassiné. Abakoumov, selon la commission, avait
camouflé ces aveux et fait périr le cardiaque Etinguer en le jetant dans une
cellule glaciale. Enfin, trois dirigeants d’une « organisation de jeunesse
juive antisoviétique [1466] » , arrêtés, avaient avoué à Abakoumov leur intention d’abattre des dirigeants,
mais il avait négligé ces aveux, omis dans le procès-verbal de leur
interrogatoire. Il aurait donc protégé les terroristes en herbe. Staline, le 5 juillet 1951,
le reçoit en pleine nuit. Le 11 juillet, il fait adopter par le Bureau
politique, réuni à cette occasion, une résolution sur « La situation
malsaine dans le MGB de l’URSS ». Le 12, Abakoumov est interné à la prison
spéciale de Matrosskaia Tichina. Staline le remplace à la tête de la Sécurité
par un terne apparatchik, étranger à ce milieu, Semion Ignatiev, à qui il
transmet l’affaire du Comité antifasciste.
Fin août, Staline part en vacances à Tskhaltoubo. Entre deux
siestes, il peaufine son idée d’un complot judéo-sioniste. Le 24 août 1951,
Ignatiev informe Malenkov et Beria qu’aucun document ne confirme les
dépositions des inculpés. Les espoirs d’un procès public s’estompent. Staline
confie alors à l’hystérique Rioumine la poursuite de l’« enquête » et
lui remet à cette fin un questionnaire, rédigé par ses soins, établissant la
liste des questions à poser aux emprisonnés. Les 19 et 20 octobre 1951,
il fait arrêter Andreï Sverdlov, colonel de la Sécurité d’État, chez qui la
police trouve des ampoules de poison violent et tout un arsenal, puis une
demi-douzaine d’autres cadres juifs de la Sécurité d’État : Naoum
Eitingon, le coorganisateur de l’assassinat de Trotsky, Léonid Raikhman, Lev
Schwartzmann, l’enquêteur et tortionnaire en 1939 de Babel et Meyerhold, Lev
Cheinine, enquêteur de la Sécurité d’État. Tous sont accusés d’avoir constitué
une organisation terroriste sioniste visant à prendre le contrôle de la
Sécurité d’État sous la direction d’Abakoumov La mère de Sverdlov sollicite l’intervention
de Staline et lui rappelle que, deux fois déjà, il a fait libérer son
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