Staline
de
vue rapide sur les désaccords du parti, parsemée de formulations et d’images
bibliques ; il évoque, selon la métaphore qu’il affectionne, « cette
terre promise, le monde socialiste », dénonce l’autocratie, qui « rejette,
comme un serpent, sa vieille peau… et revêt une peau de brebis », « la
politique pharisaïque du gouvernement tsariste » ou « la noire
réaction qui rassemble des forces ténébreuses ». La répétition tient lieu
d’argumentation : « La révolution russe est inévitable. Elle est
aussi inévitable qu’est inévitable le lever du soleil ! Pouvez-vous
arrêter le soleil levant [129] ? »
Non, car n’est pas Josué qui veut. Il conseille enfin de « trancher la
tête du diable avec son propre glaive [130] ».
Dans ce bouillonnement, où les masses se font sujet de l’histoire,
Koba, esprit lent, froid et renfermé, se sent perdu. Il n’a pas les qualités
nécessaires pour orienter les grévistes : la vivacité de pensée, l’intuition,
l’ampleur de vues, le sens de la perspective et de la prospective historiques,
le contact et l’échange avec la foule, le talent oratoire, l’enthousiasme. La
révolution ne révèle en lui aucun talent. Il en sort tel qu’il y était entré. L’un
de ses biographes définit la place qu’il a alors occupée en donnant à un de ses
chapitres le titre suivant : « Un révolutionnaire à l’écart de la
Révolution [131] ».
Le jour de l’élection de la première Douma, le 27 avril 1906,
le gouvernement en définit le rôle à travers une série de lois
fondamentales : la Douma est dotée d’une simple fonction consultative et
de proposition. Les textes votés par elle doivent être validés par le conseil d’Empire,
assemblée de notables désignés pour moitié par le tsar. Échappent à sa
discussion les crédits militaires (armée et flotte), les dépenses
(considérables) de la Cour, les traités de commerce internationaux, ainsi que
les questions militaires, diplomatiques et religieuses, qui relèvent de la
seule autorité du monarque. Ce dernier peut dissoudre la Douma à son gré et
légiférer à son aise quand elle n’est pas en session. Ce régime constitutionnel
bâtard fonctionne selon le bon vouloir du tsar ; la Russie demeure un
empire autocratique. Malgré le boycott des élections par les SR et les
bolcheviks, la majorité de la Douma, portée par la vague révolutionnaire, exige
le respect de toutes les libertés (civiles, ethniques et religieuses), l’abolition
de la peine de mort, une amnistie politique, un régime parlementaire, une
réforme agraire. Nicolas II la dissout le 9 juillet.
La révolution a poussé mencheviks et bolcheviks à se
réunifier. En avril 1906, Tiflis envoie au congrès unitaire du POSDR à
Stockholm une délégation composée de quinze mencheviks et de Koba. Tous les
autres dirigeants bolcheviks du Caucase sont morts, partis ou exilés. La place
est libre pour lui. Les bolcheviks sont minoritaires au congrès. Sur la
question agraire, Koba s’oppose à Lénine, favorable à la nationalisation des
terres des grands propriétaires terriens et de l’Église. Koba est favorable au
partage. La question lui tient à cœur. Il y consacre quatre articles en mars,
signés Bessochvili. Il insiste sur la volonté des paysans qui « exigent le
partage des terres […] nous devons donc soutenir la confiscation totale et le
partage [132] ».
Cette confiance dans la spontanéité populaire est tout à fait exceptionnelle
chez lui. Et, pour une fois, il développe une véritable argumentation, solide
et bien étayée : étant donné les relations précapitalistes existantes, le
partage des terres qui, dans des rapports de production capitalistes, serait
certes réactionnaire en multipliant les petites exploitations, est dans l’ensemble
révolutionnaire économiquement et justifié politiquement. Lénine reprendra ce
point de vue en octobre 1917, lorsque les paysans eux-mêmes s’empareront
des terres. Or, chose étonnante, en 1946, dans sa préface au tome I de ses Œuvres complètes, Staline affirme s’être alors rallié à tort au partage
des terres, parce qu’il « n’était pas encore devenu un marxiste-léniniste
accompli [133] ».
Cette autocritique, rarissime chez lui, est d’autant plus étrange qu’en 1917 le
décret bolchevik sur la terre en organisera précisément le partage : l’histoire
lui avait donc donné raison. Mais la
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