Staline
plus énergiques et les plus entreprenants pour réveiller chez eux l’instinct
de propriété. Tout paysan se voit ainsi octroyer le droit de quitter la commune
pour exploiter son ou ses lopins en toute propriété et il bénéficie de taux d’intérêt
réduits pour en acheter d’autres. La réforme divise le monde rural :
certains paysans sortis de la communauté retrouvent leur ferme incendiée, leur
champ dévasté, leur récolte détruite, leur bétail mutilé ou égorgé. Mais elle
touchera finalement moins de 10 % des foyers paysans qui, pour la plupart,
parce qu’ils sont pauvres, privés de matériel et de crédit, végètent, se
ruinent et louent leur lot. La réforme ne permettra donc pas de voir se former
la couche de petits propriétaires individualistes que Stolypine appelait de ses
vœux.
Cette tentative de réforme agraire s’accompagne d’une mise
au pas politique. La seconde Douma, entrée en fonction le 5 mars 1907,
est dissoute le 3 juin par un manifeste impérial qui dénonce « l’imperfection
de la loi électorale grâce à laquelle l’institution législative se remplissait
de membres qui n’exprimaient pas les besoins et les aspirations populaires ».
Ne pouvant influer sur les votes, le tsar en modifie le calcul en changeant les
quotas par curie. Un électeur élu au premier degré pour désigner les députés
représente, en fonction de sa curie, 230 propriétaires fonciers, 60 000 paysans
ou 125 000 ouvriers. La troisième Douma, élue sur cette base le 1 er novembre 1907,
semble faite sur mesure pour la couronne.
À cette époque, en mai 1907, Koba assiste, à Londres,
au deuxième et dernier congrès réunifié du Parti social-démocrate russe. Il se
prétend délégué du district de Bortchalo, dont les mencheviks caucasiens
contestent l’existence, et est admis sans droit de vote. Il se tait tout au
long des trois semaines du congrès. Il ne visite pas plus Londres qu’il n’a
visité Stockholm. Il voit en revanche, et pour la première fois, Trotsky,
arrivé au congrès au lendemain de son évasion triomphale de Sibérie où il avait
été condamné à l’exil perpétuel à la fin du procès du soviet de
Saint-Pétersbourg. Dans son compte rendu, imprimé dans le Prolétaire de
Bakou, Koba, dont Trotsky n’a pas même soupçonné l’existence, commente les
interventions enflammées pour l’unité de l’ancien président du soviet de
Saint-Pétersbourg en une demi-ligne dédaigneuse et partiellement vraie : « Il
s’est révélé une magnifique inutilité [136] . »
Koba n’est pas élu membre du centre dirigeant bolchevik
secret constitué à Londres, mais, sur le chemin du retour, il s’arrête à Berlin
où il s’entretient avec Lénine. De quoi discutent-ils ? Ni l’un ni l’autre
n’en a jamais rien dit. La chronologie des Œuvres complètes dissimule
cette visite, omission étrange pour un homme attaché à souligner ses rapports
étroits avec Lénine. La discussion porte donc sur un point que Staline désire
cacher, sans doute la préparation de quelques « ex ».
Au nom de la morale, les mencheviks ont fait condamner les « ex »
par le congrès. Mais Lénine n’entend pas y renoncer. Les adhérents s’étiolent,
les libéraux désabusés ne versent plus leur obole, quand les besoins sont plus
évidents que jamais. Étant donné la condamnation du congrès, le secret le plus
rigoureux s’impose. Koba semble être l’homme de la situation : le Caucase,
fort de sa tradition de brigandage et de rébellions antirusses, est le lieu
privilégié des « ex » – les groupes nationalistes et
révolutionnaires et les truands en ont effectué plus de mille en trois ans.
Silencieux à Londres, Koba n’a pas attiré l’attention sur lui. Rentré au
Caucase début juin, il présente un rapport banal sur le congrès dans les
comités bolcheviks de Bakou, de Tiflis et de quelques bourgs de Géorgie
occidentale.
Mais il aurait aussi, dit-on, organisé en cet été 1907
le hold-up d’un bateau transportant des fonds publics, puis l’attaque du
fourgon du Trésor de Tiflis. L’écrivain abkhaze Fazil Iskander, soixante-dix
ans plus tard, dans un récit fondé sur de vieilles rumeurs attribuant alors aux
bolcheviks le pillage en rade de Bakou du navire Nicolas I er , dresse le portrait d’un Koba tueur et parrain qui attaque le bateau reliant
Poti à Odessa, fait abattre les quatre matelots, pourtant complices, par ses
trois
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