Staline
acolytes qu’il liquide avant de s’enfuir dans la montagne avec le butin [137] . Selon la
tradition orale, huit « abreks », et non quatre, auraient massacré l’équipage,
embarqué un quintal d’or et d’argent, puis se seraient entre-tués sur ordre de
leur chef, Koba, qui aurait raflé le magot dont le Parti n’aurait jamais vu un
kopeck. Le Koba abattant ses complices annoncerait le Staline liquidant ses
anciens camarades. Mais on se demande ce qu’il aurait fait de ce prétendu
butin, car il végète alors dans le dénuement. À Bakou, il vit dans une pièce
dont les rideaux blancs accrochés aux fenêtres et les napperons de dentelle,
brodés par Catherine Svanidzé, sur les coussins du lit, masquent mal la
pauvreté…
Si l’« ex » du navire ressemble plutôt à une
mauvaise série B, celle de Tiflis, elle, est un modèle du genre. Le 13 juin 1907,
peu avant 11 heures du matin, un fourgon du Trésor public emportant 341 000 roubles
en billets, escorté de cosaques, arrive sur la place centrale de la ville, dite
place d’Erevan, dont, depuis l’aube, un officier balafré tente d’écarter les passants.
À l’arrivée du fourgon, trois individus se lèvent en brandissant leurs
revolvers et tirent sur les policiers disposés au carrefour ; six autres
lancent une bombe sur le fourgon. Deux cosaques et un garde s’effondrent, un
autre tire vers les toits, l’attelage s’emballe, un homme se jette à sa
poursuite, lance une nouvelle bombe qui renverse le cocher, les chevaux, les
sacs de billets et le poursuivant, lui-même à demi assommé. L’officier de
police balafré le pourchasse, debout sur un fiacre, jurant, hurlant, tenant d’une
main les rênes, tirant de l’autre des coups de revolver en l’air, le rejoint,
empoigne à terre les sacs que les deux hommes hissent dans le fiacre qui
disparaît dans une ruelle adjacente. Le faux officier, Kamo, et son complice s’enfuient
et dissimulent, le soir, l’argent à l’Observatoire de géophysique où Koba avait
jadis travaillé, puis l’envoient en Occident ; tous ceux qui tentent d’écouler
les coupures de 500 roubles, aux numéros soigneusement notés par la
banque, sont arrêtés. Ce « pillage d’une audace inouïe », selon les
mots d’un journal russe, fit grand bruit en Russie et en Europe. La rumeur
porte jusqu’à quarante le nombre des cosaques et policiers tués ce jour-là. La
chasse aux agresseurs envolés et aux billets disparus multiplie les
dénonciations anonymes et l’envoi d’innocents en Sibérie.
Le rôle de Staline dans cette affaire a suscité un flot d’hypothèses
non vérifiées. Adam Ulam affirme : « Il fut le principal
"stratège et organisateur" du raid [138] . »
Selon Robert Conquest, en revanche : « Rien ne prouve que Staline ait
eu un lien avec l’affaire [139] . »
Isaac Deutscher écrit curieusement : « Le rôle de Koba dans toute
cette affaire fut très important, bien qu’il n’ait jamais été clairement défini [140] . » Staline
lui-même passera toujours cet épisode sous silence : en 1931, alors qu’Emil
Ludwig l’interroge sur son rôle, il lui tend, en guise de réponse, une brochure
absolument muette sur les « ex ». Une chose est sûre : il n’y
participe pas directement. La seule trace d’un lien de Koba avec cette « ex »
est la demande présentée le 29 septembre 1907 par Litvinov au
secrétaire du Bureau socialiste international, dépositaire d’une partie des
fonds dérobés, d’envoyer 1 000 francs sur l’argent des « ex »
qu’il avait en dépôt à « Koba, Bakou », pour les frais de l’organisation
de défense bolchevique. Mais cet envoi ne prouve rien : les bolcheviks ne
partageaient pas le butin entre les participants d’une opération, ils le
répartissaient en fonction des besoins…
Koba n’a pu diriger l’« ex » de Tiflis. Le congrès
de Londres s’est achevé le 19 mai, Koba s’est ensuite arrêté à Berlin pour
rencontrer Lénine ; le retour au Caucase exigeait une quinzaine de jours
et une opération comme l’« ex » de Tiflis ne s’improvise pas à la
dernière minute. C’est Kamo qui en a été le maître d’œuvre, et Koba lui a, au
mieux, donné son aval. La veuve de Kamo ne mentionne d’ailleurs jamais son nom
dans le récit qu’elle en fit en 1924. Bref, son éventuelle intervention n’a
laissé aucune trace, et les déclarations ultérieures de ses camarades à ce
sujet sont
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