Staline
chien ; une fois léchée par Iachka, la vaisselle est
propre, déclare-t-il à son voisin [182] .
Comme il juge aussi superflu de faire le ménage, les rapports des deux hommes
se dégradent vite. En mai, Sverdlov souligne : « Dans les conditions
de la prison et de l’exil, un homme se révèle tel qu’il est avec ses défauts
les plus mesquins [183] . »
Il change d’isba, laissant Staline seul dans la sienne. Un mois plus tard,
Sverdlov se plaint à sa femme des « conditions horribles » dans
lesquelles il vivait à Koureika : « Le camarade avec qui je vivais s’est
montré impossible dans la vie de tous les jours. Nous avons cessé de nous voir
et de nous parler [184] . »
Ils se reverront au Comité central.
Jusqu’en janvier 1914, Staline reçoit régulièrement la Pravda qui l’informe sur la montée des grèves. Le 23 avril 1914, 75 000 ouvriers
débraient à Saint-Pétersbourg et 54 000 à Moscou contre l’exclusion
temporaire de la Douma des députés sociaux-démocrates et travaillistes,
coupables d’obstruction à l’encontre du Premier ministre. Grèves et barricades
saluent la visite de Raymond Poincaré à Saint-Pétersbourg en juillet. La guerre
étouffera cette agitation en donnant au tsarisme un illusoire sursis.
À Touroukhansk, Staline est dès le début rongé par les
soucis matériels. Ses lettres à ses camarades évoquent surtout des problèmes d’argent.
L’allocation gouvernementale mensuelle de 3 roubles qu’il touche, comme
tous les exilés administratifs non privés de leurs droits civiques, est
insuffisante. Il s’ennuie, son moral est au plus bas. Contrairement à l’habitude
des nouveaux arrivants, il refuse de faire aux vieux exilés une conférence sur
la situation politique et s’enferme aussitôt dans sa cabane. En octobre, il
écrit une supplique à Zinoviev, qui se trouve à Cracovie : « À la
suite du voyage je suis malade […]. Envoyez-moi de l’argent, envoyez-moi des
livres [185] . »
En novembre, Zinoviev lui annonce la publication en brochure de ses articles
sur la question nationale et promet de lui en régler les honoraires par
tranches. Staline en informe aussitôt Malinovsky à Saint-Pétersbourg et
sollicite son appui : « J’espère qu’en cas de parution, tu sauras me
défendre et que tu réussiras à m’obtenir mes honoraires [186] . » Au même
moment, il écrit à Alliluiev : « Enfin, j’ai reçu votre lettre. Je
pensais que vous m’aviez oublié […]. Je vis mal, je ne fais presque rien. Qu’est-ce
que je peux faire en l’absence totale ou presque totale de mes chers livres [187] ? »
Selon un ancien exilé, il aurait pourtant confisqué, après sa mort, la
bibliothèque de Doubrovinski, contrairement à l’usage qui livrait à la
collectivité les affaires des camarades décédés.
Ce même mois, il adresse une lettre désespérée et
embarrassée à son ancienne logeuse Tatiana Slovatinskaia : « J’ai un
peu honte de vous écrire, mais que faire, c’est le besoin qui m’y pousse. Je n’ai
pas un kopeck. J’avais un peu d’argent, mais il est parti en vêtements,
chaussures et en vivres, qui sont affreusement chers ici. » On lui fait
encore crédit, mais pour combien de temps ? Pourrait-on lui envoyer 20 ou
30 roubles, car il n’a pas acheté assez de bois de chauffage et, alors qu’il
fait déjà 33 en dessous de zéro, il va en manquer. Pendant qu’il écrivait cette
lettre, il a reçu un colis de linge neuf de cette Tatiana. Il remercie et s’excuse,
confus : « Je ne voulais que mon vieux linge personnel et voilà que
vous m’en achetez du neuf, que vous faites des frais, c’est dommage, vous n’avez
pas beaucoup d’argent [188] . »
Cette délicatesse est passagère. Il ajoute huit jours plus tard une nouvelle
supplique : « Gentille amie, ma gêne croît d’heure en heure, je suis
dans une situation désespérée, et par-dessus le marché, je suis malade :
une toux suspecte. J’ai absolument besoin de lait, mais… l’argent, je n’ai pas
d’argent. Ma très chère, si vous me trouvez quelques sous, envoyez-les aussitôt
par mandat télégraphique, je ne peux plus attendre [189] . » Staline
châtiera plus tard la famille de Tatiana Slovatinskaia : son gendre sera
exécuté, son fils et sa fille exilés.
Il s’impatiente et, en décembre, dans une lettre à Zinoviev,
il évoque sa bronchite chronique et réclame en urgence les honoraires dus pour
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