Staline
judiciaires contre le Comité militaire
révolutionnaire, convoque à Petrograd des troupes sûres et interdit les deux
principaux journaux bolcheviks, Rabotchi Pout et Soldat. Dans l’aube
pluvieuse du 24, un détachement de soldats gouvernementaux appose les scellés
sur l’imprimerie des deux journaux subversifs. Le Comité militaire
révolutionnaire dépêche alors un contingent de fusiliers lettons qui brisent
les scellés, se déclare responsable du maintien de l’ordre, mobilise la
garnison, arme la garde rouge et, dans la nuit, envoie quelques détachements de
matelots et de soldats s’emparer des points stratégiques : la poste
centrale, l’agence télégraphique, les ponts sur la Neva, le central
téléphonique, la Banque d’État. Les ministres, terrés au fond d’une salle du
palais d’Hiver, sombrent dans l’inertie des agonisants. Kerenski bredouille qu’il
s’en va chercher des renforts et s’enfuit dans une voiture de l’ambassade
américaine.
Pendant les deux journées que durera l’insurrection, Staline
boude et s’efface. Le numéro du Rabotchi Pout du 24 octobre publie
pourtant un éditorial rédigé par lui la veille au soir. Il invite ouvriers,
paysans et soldats à élire des délégations chargées d’exposer leurs
revendications au Congrès des soviets : « Si vous agissez avec
ensemble et fermeté, personne n’osera s’opposer à la volonté du peuple. Le
vieux gouvernement cédera sa place au nouveau d’une façon d’autant plus
pacifique que vous aurez agi avec plus de fermeté, d’organisation et de
puissance [262] . »
Un an plus tard, Staline qualifiera d’appel à l’insurrection cette invitation à
déposer des pétitions au congrès. Pourtant, lorsqu’il est invité, le 7 novembre 1920
au soir, à commémorer la révolution d’Octobre avec tous ses acteurs, il se
dérobe. Et aucun des présents ne cite son nom.
Le 24 octobre au matin, le Comité central décide qu’aucun
de ses membres ne pourra quitter Smolny sans une permission spéciale délivrée
par lui. Staline n’aura pas à la demander : il n’est plus là. Déjà, il n’assure
plus la liaison avec Lénine dont il est chargé depuis juillet. Lénine, à qui le
Comité central a interdit de quitter sa cachette, n’est informé que par sa
logeuse bolchevique Fofanova et par son agent de liaison Rakhia, simples
militants du rang. Or, Lénine est inquiet : les décisions du Comité
militaire révolutionnaire de Petrograd dirigé par Trotsky lui paraissent trop
lentes et la volonté de ce dernier de lier la prise du pouvoir à une décision
du Congrès des soviets bien risquée. Comment être sûr que les bolcheviks y
auront la majorité ? Les journaux du matin annoncent 250 bolcheviks,
159 socialistes-révolutionnaires, 60 mencheviks, sur 518 délégués
arrivés dans la capitale. Tout jouer sur quelques voix ? Jamais !
Attendre, c’est tout perdre. Il l’écrit aux dirigeants du Parti. Mais en
tiendront-ils compte ? Lénine n’en est pas certain. Il quitte sa cachette
pour se rendre, grimé, à Smolny, afin de transformer une insurrection rampante
en prise du pouvoir.
CHAPITRE VIII
Dans la tourmente
Le Congrès des soviets s’ouvre le 25 octobre à 22 heures 40,
dans la grande salle des séances de l’institut Smolny, uniquement chauffée,
écrit l’Américain John Reed, « par la chaleur étouffante des corps humains
sales [263] ».
Au nom de la direction sortante et bientôt sortie, Fiodor Dan annonce d’une
voix lugubre que ses « camarades du Parti se trouvent au palais d’Hiver
sous les obus [264] » –
qui se réduisaient alors à un tir à blanc du croiseur Aurore. Le nombre
de délégués est de 542 à 690 selon les sources ; en tout cas, les
bolcheviks sont majoritaires. Les élections du bureau à la proportionnelle leur
donnent 14 sièges sur 25. Kamenev remplace Dan à la présidence.
À deux heures du matin, après un assaut confus où
assaillants et assaillis sont à ce point mêlés que gardes rouges et soldats
tirent en l’air pour ne pas s’entre-tuer, le palais d’Hiver tombe et les
ministres sont arrêtés. Les délégués SR et mencheviks quittent le Congrès.
Lénine monte à la tribune sous les clameurs et fait voter un décret proposant à
tous les belligérants une paix immédiate et sans annexion, et un autre décret
qui sanctionne et généralise le partage des terres. Puis le Congrès élit un
nouveau Comité exécutif
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