Staline
des paysans riches (koulaks) et aisés. Ces comités autodésignés se
heurtent souvent aux soviets élus qui représentent toute la paysannerie. Cette
politique de division planifiée de la paysannerie, destinée à dresser ses
couches les plus pauvres contre ses couches aisées, peu efficace, sera
officiellement abandonnée en décembre. Mais en mars 1919, Kroupskaia se
plaindra dans une lettre au commissaire à l’Intérieur : « Les comités
de paysans pauvres font régner la violence et le désordre [284] . » Pour
répartir la pénurie en faveur des ouvriers et en défaveur des « bourgeois »,
le 23 août, un système de « rations alimentaires de classe »
inégalitaire est institué. La guerre civile accélère enfin la nationalisation
de l’économie. Un décret du 30 juin 1918 nationalise les grandes
entreprises, le transport ferroviaire et le commerce de gros pour centraliser
les ressources de plus en plus maigres entre les mains de l’État.
À part Lénine, qui tient toutes les ficelles entre ses
mains, Sverdlov, qui gère l’appareil du Parti, et Boukharine, chargé de la Pravda, tous les dirigeants sont affectés à des missions sur divers fronts, que Trotsky
parcourt dans son fameux train spécial. Pour tenter de ravitailler Moscou,
Lénine nomme Staline directeur général de l’approvisionnement du sud de la
Russie, et l’envoie, le 29 mai 1918, à Tsaritsyne, à 800 kilomètres
au sud de Moscou sur la Volga, avec le commissaire au Travail Chliapnikov. Ils
sont munis de pouvoirs extraordinaires pour assurer le passage du blé et du
charbon venant du Sud. Avant de partir, Staline se rend chez le commissaire à l’Approvisionnement,
Tsiouroupa, son voisin, le houspille, lui déclare que les employés de son
commissariat ne brassent que de la paperasse, et l’invite à les expédier tous
sur place « charger le blé sur leur dos ! » « Et vous le
premier comme dirigeant [285] ! »
ajoute-t-il. Tsiouroupa lui conseille de transmettre la proposition au Comité
central. Staline esquive.
Le 29, accompagné de Nadejda Alliluieva, âgée de 17 ans,
et de son frère Fiodor, âgé de 20 ans, qui depuis le début de l’année lui
servent l’une de dactylo, l’autre de secrétaire, et d’un détachement de
tirailleurs lettons, il part pour Tsaritsyne, siège de l’état-major de la X e armée.
Un mois plus tôt, le 4 mai, a été constitué le front du nord-Caucase
commandé par Snessarev, l’un des premiers généraux tsaristes ralliés au pouvoir
soviétique. La ville contrôle la route du Caucase. La ligne de chemin de fer du
Sud est soumise aux raids de bandes paysannes plus ou moins anarchistes, de
cosaques et de gardes blancs. En chemin, Staline reçoit un télégramme de son
ami Ordjonikidzé qui l’informe du chaos qui règne à Tsaritsyne. Un groupe
anarchiste, insurgé, y a attaqué un convoi de wagons chargés de pierres
précieuses et d’or confisqués aux riches, assassiné les gardes, réparti le
butin puis tenté de piller la ville avant que ses deux dirigeants ne soient
abattus. Le lendemain, 6 juin, Staline arrive à Tsaritsyne au moment où,
sous la pression des troupes allemandes qui envahissent l’Ukraine, les 15 000 soldats
des III e et V e armées ukrainiennes soviétiques,
formées de mineurs et de métallurgistes russophones et commandées par son vieux
camarade de Bakou, Vorochilov, refluent sur la ville, que les cosaques du Don
menacent par le sud. Plus au nord, Savinkov prépare l’assassinat de Lénine et
Trotsky à Moscou, un soulèvement à Rybinsk, Iaroslavl, Kazan et Mourom, siège
du quartier général bolchevik. Il espérait ainsi, commentera-t-il en 1919, « encercler
la capitale avec les villes soulevées, avec le soutien des Alliés au nord, et
des Tchécoslovaques [286] »
au sud.
Prudent, Staline, que personne ne songe pourtant à
assassiner, reste logé dans le wagon-salon de son train prêt à remonter vers le
nord, installe son état-major sous le toit brûlant, et réclame les pleins
pouvoirs sur le trafic fluvial. Lénine ordonne par télégramme à la direction
des transports fluviaux d’exécuter toutes ses décisions et directives. Bien que
sa mission concerne l’approvisionnement, il s’ingère aussitôt dans la conduite
des affaires militaires, tout en prétendant le faire à son corps défendant. Le
22 juin, il télégraphie ainsi à Lénine et Trotsky : « occupé
jusqu’à la folie […] je ne
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