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Suite italienne

Suite italienne

Titel: Suite italienne Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Juliette Benzoni
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cette fois, la jeune femme s’accorderait le temps de la réflexion : celui de l’héritier de Ferrare, Alphonse d’Este, fils aîné du duc Hercule, le plus beau parti d’Italie, la maison la plus puissante.
    Si puissante même qu’en temps normal, la superbe famille d’Este eût accueilli avec un sourire de mépris l’idée d’une alliance avec une femme d’aussi petite maison que les Borgia et repoussé avec horreur une créature jouissant de la détestable réputation de Lucrèce.
    Mais les conquêtes de César avaient bouleversé l’échiquier italien, et singulièrement la conquête de Faenza, qui en avait fait un proche voisin. En outre, les Este, traditionnellement alliés de la France, ne pouvaient demeurer insensibles au fait que le Valentinois bénéficiait d’une certaine faveur à la cour de Louis XII et que son mariage avait rehaussé l’éclat de son nom. Aussi quand, en février 1501, le cardinal de Modène, Jean-Baptiste Ferrari, écrivit au duc Hercule pour proposer discrètement la main de Lucrèce, n’essuya-t-il pas le refus indigné qui eût été normal.
    Il ne souleva pas non plus l’enthousiasme. Les Este étaient alliés aussi bien à la maison d’Aragon qu’aux Sforza, et pour eux, le pape Alexandre ou le Diable, c’était à peu près la même chose. La plus acharnée était incontestablement la marquise de Mantoue, la hautaine Isabelle d’Este, fille d’Hercule et sœur de la charmante Béatrice, défunte épouse de Ludovic le More. Arbitre des élégances et des arts dans toute l’Italie, la grande Isabelle, qui connaissait par le menu toutes les histoires les plus infamantes concernant les Borgia, frémit quand elle apprit qu’il était question de faire de Lucrèce sa belle-sœur.
    Mais le duc Hercule était un sage et habile politique, ne dédaignant pas d’ailleurs les avantages matériels. Or ces damnés Borgia étaient riches, fabuleusement riches même, et le fameux César en passe de devenir l’un des princes les plus puissants d’Europe pour peu que Dieu, ou le Diable, prêtât vie encore longtemps au pape Alexandre, qui semblait d’ailleurs bâti à chaux et à sable. Les ambassadeurs de Ferrare – et plus encore ses espions – entrèrent en campagne pour démêler ce qu’il y avait de vrai dans la légende noire des Borgia et s’assurer si Lucrèce était véritablement la prostituée assoiffée de sang que l’on dépeignait si aisément.
    De son côté, la jeune femme se prit à rêver de ce troisième mariage comme le navire malmené par la tempête rêve des eaux calmes d’un port sûr. Ferrare, puissante, solide, à peu près imprenable, pouvait lui être ce port. L’antique et noble maison d’Este absorberait Lucrèce Borgia, dont on oublierait avec le temps les étranges mariages. Enfin, devenue l’épouse d’Alphonse d’Este, elle échapperait à jamais à l’emprise de César. Elle cesserait d’être sa chose obéissante et soumise.
    D’ailleurs, celui-ci voyait d’un bon œil ce mariage, qui consoliderait ses conquêtes romagnoles et, pour le faire aboutir plus vite, il commença à échanger civilités et présents avec les fils d’Hercule, notamment le cardinal Hippolyte, qui offrait bien des similitudes avec ce qu’il avait été lui-même au temps où il était d’Église.
    Durant des mois, les tractations se poursuivirent, lentes, acharnées. Hercule avait les dents longues et, pour mettre la main de son fils dans celle de Lucrèce, formulait de singulières exigences : dot de 200 000 ducats, exemption pour Ferrare du tribut payé à l’Église, cession de villes importantes, etc., une dot d’impératrice devant le montant de laquelle Alexandre regimbait… Pendant ce temps, Lucrèce rêvait sur le portrait de l’homme qu’on lui proposait.
    Alphonse d’Este, déjà veuf d’une Sforza, avait vingt-quatre ans. Il était taillé en force, l’œil vif, le cheveu et la barbe bruns, sévère, mais plutôt séduisant. Il n’avait rien du poète, lui. C’était un homme de guerre, dont les seules passions, en dehors des femmes dont il faisait une belle consommation, étaient sa fonderie de canons et ses chevaux, car Ferrare possédait peut-être les plus fameuses écuries d’Europe. Et à considérer ce visage impassible, Lucrèce se prenait à s’inquiéter : lui plairait-elle ? On le disait surtout friand de beautés plantureuses. Elle était mince, frêle, un bibelot plutôt qu’une statue.
    Enfin, le 4

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