Suite italienne
énormément César aussi et, deux jours plus tard, tous deux sont malades… patraques plus exactement, mais les sombres pressentiments assiègent Alexandre plus que jamais.
— Toutes ces maladies dans Rome et les décès quotidiens nous ont effrayé de telle sorte que nous sommes tenté de prendre davantage soin de notre santé que de coutume, dit-il à l’ambassadeur de Venise, Giustiniani.
Et un hibou mort venant s’abattre à ses pieds un instant plus tard, il pousse un long gémissement.
— Mauvais, mauvais présage, balbutie-t-il d’une voix étranglée.
Et, terrifié, il va se coucher.
Il ne se relèvera que le 11, pour l’anniversaire de son élection. Encore y préside-t-il à la messe avec une mine lugubre et si défaite qu’elle impressionne tout le monde et, le service à peine terminé, retourne-t-il dans son lit, dont cette fois il ne sortira plus. Le 18 août, à l’heure des vêpres, il expire après une pénible crise d’étouffement.
César, que l’on a soigné avec des moyens barbares (on l’a enfoui, nu, dans les entrailles d’une mule que l’on venait d’éventrer puis jeté dans un tonneau plein d’eau glacée, dont il est sorti violet et le corps tout pelé… mais vivant), va un peu mieux. Il trouve assez de force pour ordonner à Micheletto de faire fermer toutes les portes du Vatican, puis se traîne chez le cardinal-trésorier et, sous la menace de son épée, reçoit les clefs de la caisse pontificale. Après quoi l’on prépare, à l’abri du pillage, les funérailles du pape.
Elles allaient revêtir un caractère d’horreur presque démoniaque car, après une journée d’exposition, le corps d’Alexandre entra en décomposition. Il était devenu aussi noir qu’un Soudanais. Sa figure et son nez étaient boursouflés, sa bouche grande ouverte, quasi bâillonnée par la masse de la langue enflée. Quant à l’odeur, elle était si insupportable qu’à minuit, six portefaix vinrent prendre le cadavre, le bourrèrent à coups de poing dans un cercueil trop étroit, qu’ils fermèrent tant bien que mal puis emportèrent à Sainte-Marie-des-Fièvres, où ils l’abandonnèrent contre un mur sans le moindre cierge ni le plus petit bout de prière.
César, pour sa part, avait autre chose à faire : assurer sa sécurité et celle de sa fortune. Tandis que ses soldats gardaient les palais pontificaux, empêchant même la réunion du conclave que leur maître prétendait diriger, il appelait Louis XII à son secours, tout en présentant en sous-main des offres de services à Gonzalve de Cordoue. L’idée que l’énorme puissance dont il avait joui si longtemps grâce au pape pouvait lui échapper lui était insupportable…
Pourtant, la loi de l’Église était formelle : le conclave ne se réunirait que lorsque les hommes d’armes et leur chef auraient quitté le Vatican. Enfin, le 1 er septembre, on parvient à un accord : César quittera Rome et ne s’en approchera pas durant la vacance du Saint-Siège, mais en échange, sera puni de mort quiconque attentera à la vie du « puissant seigneur gonfalonier et capitaine général de l’Église ».
Et, le lendemain, de fait, César encore affaibli monte en litière tendue de drap cramoisi avec sa mère, Vannozza, qui s’effare devant ce bouleversement de ses douillettes habitudes, et son frère Joffré qui sanglote : Sancia a jugé bon de se faire enlever par Prospero Colonna et ne se soucie plus des Borgia, trop heureuse d’en avoir fini avec eux. On gagne Nepi, ce doux refuge de Lucrèce la lointaine.
Dans Rome où s’infiltrent des bandes françaises, le conclave qui se réunit le 16 septembre est plus qu’orageux. Tous les bannis d’autrefois sont revenus et la ville gronde sous les clameurs de tous ceux qui ont eu peu ou prou à se plaindre des Borgia. Et Dieu sait s’il y en a…
Finalement, comme on ne peut se mettre d’accord, on choisit, selon la coutume facile, un vieillard à moitié mort, le cardinal Piccolomini, qui prend le nom de Pie III et, bien sûr, ne régnera pas vraiment.
César s’est tout d’abord réjoui de cette élection, car il espère régner encore sur ce moribond qui lui montre de l’amitié. Mais son heure est passée. Rome est pleine de ses ennemis. Les parents des condottieri assassinés à Senigallia le chassent à mort. De son côté, Gonzalve de Cordoue fait interdire à tous les soldats et capitaines espagnols de servir sous sa bannière… Cette fois,
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