Suite italienne
Lions. Là, mourant de faim et de soif, il s’étrangla le septième jour. Alphonse d’Este avait tenu parole : on n’avait pas touché à un cheveu de sa tête.
Enfin, Angela Borgia, cause de cette tragédie familiale, vécut à peu près heureuse dans sa montagne, sans même se soucier de l’homme qui avait à cause d’elle connu un sort pire que la mort. Elle avait un mari, des enfants… le reste n’était plus qu’une vieille histoire.
La duchesse parpaillote :
Renée de France
— Alors, ma sœur ? quelle réponse devons-nous donner au duc de Ferrare ? Êtes-vous disposée à épouser notre jeune hôte, le prince Hercule ?
Assis dans l’embrasure d’une fenêtre donnant sur l’étang des carpes, à Fontainebleau, le roi François I er regardait sa jeune belle-sœur avec un mélange d’amusement, d’affection et d’irritation. Cette jeune fille de dix-huit ans, plus charmante que vraiment jolie, s’intéressait selon lui un peu trop à la théologie et aux lettres les plus sérieuses, et pas assez à ce qui, d’après le roi, devait être la grande affaire d’une fille de son âge : l’amour. Il est vrai que, jusqu’à présent, Renée n’avait pas eu beaucoup de chance.
Seconde fille de Louis XII et d’Anne de Bretagne, elle avait perdu sa mère, la pieuse, sévère et intransigeante duchesse en sabots, à trois ans et demi, et vu, six mois après, son père reconvoler avec une donzelle de seize ans, Mary d’Angleterre, d’un tempérament tellement au-dessus de son âge que, six autres mois plus tard, le bon Louis XII en était mort.
Orpheline, Renée avait vécu dans l’ombre de la reine Claude, sa sœur aînée, créature douce, bonne comme la prune à laquelle on avait donné son nom, mais plutôt effacée, et la mère de François I er , Madame Louise de Savoie, créature beaucoup moins douce, qui s’était chargée de son éducation. Or, si François I er aimait et admirait profondément sa mère, il admettait volontiers qu’elle pouvait être assez redoutable, surtout pour une enfant timide comme Renée. Il est vrai que Renée avait aussi pu vivre dans l’orbite de la sœur chérie de François, Marguerite d’Angoulême, princesse lettrée et raffinée s’il en était, mais que l’enfant n’aimait pas beaucoup parce que sa mère, Anne de Bretagne, avait franchement détesté Louise de Savoie et sa fille.
Oui, Renée avait été élevée sévèrement, et son précepteur, Lefebvre d’Étaples, n’avait rien d’un joyeux luron. Il avait tenu la petite princesse rigoureusement à l’écart des fêtes de la cour la plus brillante d’Europe, et même lui en avait inculqué une certaine aversion, lui montrant messire Satan embusqué sous tant de sourires, de fleurs et de musique. Devenue jeune fille, Renée avait vu mourir sa sœur Claude avant de pâtir, comme tout le monde en France, de la captivité du roi après le désastre de Pavie. Certes, la cour n’avait plus rien de gai, à ce moment, et Madame Louise, régente du royaume, veillait de près à ce que chacun partageât sa douleur et son angoisse.
— Alors, ma mie ? répéta François. Que dirons-nous ?
La jeune princesse baissa la tête et détourna les yeux pour cacher une subite rougeur qui eut le don de mettre en joie le roi-chevalier.
— Nous dirons oui, Sire… s’il plaît à Votre Majesté.
— Il plaît, Renée, il plaît même beaucoup ! J’espère qu’il en est de même pour vous ?
Pour toute réponse, la jeune princesse rougit plus fort, tandis que son beau-frère l’embrassait en riant et en disant qu’il allait annoncer la bonne nouvelle à la cour. C’était vrai : Hercule d’Este, fils aîné du duc Alphonse de Ferrare et de sa défunte épouse Lucrèce Borgia, était un très beau garçon, âgé tout juste de vingt ans, fort cultivé, chose qui avait de l’importance aux yeux de Renée, très ami des arts (ce qui en avait moins, car elle était seulement sensible aux lettres) et excellent cavalier. Tout de suite, quand il était arrivé quelques jours plus tôt, le 22 mai 1528, elle l’avait trouvé charmant mais s’était bien gardée de fonder quelque espoir là-dessus. Tant de fois, on l’avait fiancée sans résultat ! Au duc de Savoie, au margrave de Brandebourg, au roi Henri VIII d’Angleterre et même à l’empereur Charles Quint ! Souvent, en évoquant tant de déceptions, Renée se prenait à soupirer mais, depuis qu’elle avait aperçu Hercule
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