Suite italienne
Jules.
— On prétend qu’ils ont conspiré contre le duc. Mais il paraît aussi qu’il y aurait eu, à l’origine, une histoire de femme…
Renée de France refusa de croire ce qu’elle considéra de prime abord comme une affreuse calomnie. Hélas, elle dut bientôt se rendre à l’évidence et ce fut Hercule lui-même qui la renseigna.
— En effet, mon père retient prisonnier ses frères, ou plutôt son frère Ferrante et son demi-frère Jules, mais c’est avec justice, car ils avaient vilainement conspiré contre lui.
— Contre lui, ou contre le cardinal Hippolyte ? demanda Renée qui avait eu d’autres renseignements par sa dame d’honneur. On dit que celui-ci et don Jules se sont disputé l’amour d’une belle cousine de votre mère, dona Angela Borgia ?
— La raison importe peu, coupa Hercule avec raideur. Seul demeure le complot contre la vie du duc. Ils ont mérité leur sort… et si vous avez de la pitié de reste, Madame, veuillez la reporter sur quelque objet de plus d’intérêt.
Ce fut là leur première querelle, mais Renée prit peu à peu en grippe le grand château rose qui lui semblait maintenant pétri de sang. Est-ce que l’un des premiers princes d’Este n’y avait pas fait décapiter sa femme et son propre fils, coupables d’adultère ? Non, jamais elle n’aimerait cette maison et elle commençait à regarder avec méfiance ces Italiens dont la grâce semblait cacher tant d’horreur.
Elle montra son désaccord en refusant d’apprendre l’italien. Elle pensait que le latin et le français étaient amplement suffisants et espérait garder ainsi une sorte de barrière entre elle et ces gens inquiétants. Cela ne fit que la priver de belles joies littéraires dans une cour où le grand homme était l’Arioste. Mais seuls les écrits qui touchaient à la religion intéressaient réellement la jeune femme, et elle réunit autour d’elle tous ceux qui lui semblaient les plus aptes à contenter ce penchant. Néanmoins, charmée par la grâce des villas d’été de Belriguardo et de Schifanoia, elle y donna des fêtes et tint son rang avec grâce.
Elle devait également tenir son rang en donnant à son mari cinq enfants : Anne (1531), Alphonse, le futur héritier de Ferrare (1533), Lucrèce (1535), Léonore (1537) et Luigi (1538).
Mais en 1534, le duc Alphonse mourut et la vie, peu à peu, se fit singulièrement difficile pour la nouvelle duchesse de Ferrare.
Devenue duchesse régnante, Renée s’aperçut qu’en perdant un beau-père qui l’aimait beaucoup, elle avait aussi perdu son meilleur appui. L’amour d’Hercule s’était mué en une tendresse certaine mais assez calme et, comme son père, comme tous les princes d’Este, il avait commencé à s’intéresser aux autres femmes. La duchesse en profita pour attirer à sa cour le plus de Français possible, surtout ceux de la nouvelle religion que les édits du royaume pourchassaient et qui préféraient mettre quelques frontières entre eux et les gardes du roi. Parmi eux, le poète Clément Marot, qui sentait largement le fagot, d’autant plus qu’il profita de son séjour à Ferrare pour s’occuper activement des demoiselles d’honneur de la duchesse.
Autre sujet de discorde : M me de Soubise. Hercule en eut bientôt assez de cette dame revêche qui semblait avoir pris à tâche de faire tout au monde pour que son ménage allât de travers. La dame ayant poussé l’impudence jusqu’à conseiller à Renée un voyage en France sans l’aveu de son mari, la colère d’Hercule éclata :
— Demain, cette femme devra avoir quitté Ferrare.
Les larmes, les prières de Renée n’y purent rien. Le duc tint bon et M me de Soubise, pâle de fureur, dut laisser sa jeune maîtresse. Elle gardait tout de même un sujet de consolation : sa fille, M me de Pons, et surtout son gendre restaient. Or, M. de Pons semblait plaire beaucoup à la duchesse, qui l’appelait volontiers pour lui demander conseil.
Le calme revint pour un temps, mais ne dura pas. L’affaire du « petit chantre » n’allait rien arranger, bien au contraire.
Voici les faits : le vendredi saint, 14 avril 1536, au moment de l’adoration de la Croix, en pleine cathédrale, un jeune chantre de la maison de la duchesse, un Français nommé Jehannet, sortit de l’église en courant et en proférant d’affreuses injures. Le scandale fut minime, personne n’ayant paru remarquer l’incident mais le soir même, Jehannet
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