Suite italienne
d’Este, elle en était venue à penser que c’était à tout prendre une bonne chose qu’aucun de ces mariages n’eût réussi.
Un mois plus tard, le 29 juin, dans la Sainte-Chapelle de Paris, le cardinal-chancelier Duprat célébrait le mariage de Renée de France et d’Hercule d’Este. Vêtue d’une lourde et somptueuse robe de pourpre et d’hermine, la fiancée rayonnait d’une beauté toute nouvelle.
— Je crois que nous avons enfin là un couple heureux, confia le roi au connétable de Montmorency. Ferrare possédera là une bonne souveraine quand le duc Alphonse aura quitté ce monde, et j’espère qu’en échange, la grâce et la légèreté de ces terres italiennes agiront sur notre trop sage princesse. Ces Este sont des artistes-nés.
— Sans doute, Sire, sans doute. Mais dans ce cas, pourquoi avoir permis à Madame Renée d’emmener avec elle M me de Soubise, qui fut sa gouvernante et la vieille amie de sa mère, ainsi que les Pons, ses fille et gendre ?
Le roi haussa ses larges épaules.
— Le moyen de les lui refuser ? Renée m’a instamment prié de permettre leur départ et le jeune Hercule ne s’y est point opposé.
— Parce qu’il ne les connaît point. Je gage, Sire, qu’il ne tardera guère à s’en repentir. M me de Soubise est encore plus sévère et intransigeante que ne l’était la feue reine Anne.
— Et ce n’est pas peu dire, fit le roi en riant. Mais l’amour opère bien des miracles, mon compère. Et Madame Renée est amoureuse.
C’était vrai. Renée était vraiment amoureuse et Hercule le lui rendait. Tous deux firent à travers la France un long et fastueux voyage de noces au milieu de villes en fête et de paysages ensoleillés. Le 12 novembre seulement ils entrèrent à Modène, première ville du duché, et le 1 er décembre ils gagnèrent enfin Ferrare.
C’était alors, avec ses rues neuves tirées au cordeau et ses palais magnifiques, l’une des plus belles et certainement la plus moderne des villes d’Italie. Ingénieurs (leur fonderie de canons était célèbre) et artistes, les princes d’Este l’avaient voulu ainsi et leur cour était à juste titre réputée brillante. La teinte rose des briques dont était bâtie la ville contrastait heureusement avec la tristesse de la plaine du Pô, d’une lugubre grisaille en ce début de décembre. Renée pensa qu’elle aimerait Ferrare, mais en apercevant l’austère et médiéval palais du duc, avec ses tours carrées, ses douves et ses créneaux, l’enfant du doux Val de Loire eut un mouvement de recul. Allait-on l’enfermer dans cette forteresse ?
— Nous n’y vivons que l’hiver, la rassura tendrement Hercule. Dès les beaux jours, nous avons Belriguardo et bien d’autres agréables villas que vous aimerez.
Au château, Renée vit enfin son beau-père, le duc Alphonse, bel homme lui aussi et qui se consolait de son veuvage avec de belles créatures, son frère, le cardinal Hippolyte et sa sœur, la célèbre marquise de Mantoue, Isabelle d’Este. Mais la sympathie de la princesse française alla seulement à son beau-père. Isabelle avait une façon protectrice de la regarder qui ne lui plaisait pas et le beau cardinal Hippolyte lui déplaisait encore davantage. Pour la piété austère, déjà teintée de protestantisme, de la jeune femme, ce cardinal mondain, parfumé et grand amateur de femmes ne pouvait qu’être un objet de scandale. En outre, de déplaisantes histoires couraient sur son compte…
Elle en éprouva une impression si pénible que même la beauté intérieure du palais, la perfection achevée de sa collection d’œuvres d’art, et son luxe extrême ne parvinrent pas à l’effacer.
— Je ne sais pas pourquoi, mais ici, j’étouffe, confiat-elle à M me de Soubise.
La dame d’honneur haussa ses maigres épaules :
— Bah, c’est tout simple, Madame : sous leurs dehors raffinés, ces Este ne sont que des barbares et je ne comprends pas le roi…
— Il suffit, coupa la princesse avec une ferme douceur. Le roi n’a fait qu’exaucer le désir de mon cœur.
Mais M me de Soubise n’avait pas l’intention de s’en tenir là. Quelques jours plus tard, elle rapportait à la jeune femme une horrible histoire : dans la tour des Lions, la maîtresse tour du château, vivaient à peu près emmurés, condamnés à la détention perpétuelle après avoir été éborgnés par les ordres du duc Alphonse, ses deux frères : Ferrante et
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