Suite italienne
fut arrêté.
Alors l’antagonisme larvé qui commençait à se manifester entre le duc et sa femme prit les formes d’un duel. Renée multipliait les démarches pour obtenir la libération de son chantre et Hercule, furieux, répliquait en faisant arrêter d’autres serviteurs de sa femme.
— Il apparaît clairement que ma maison est de plus en plus infectée d’hérésie, confiait-il à l’un de ses conseillers. Je ferai en sorte de demeurer le maître chez moi ! Je suis bon fils de l’Église catholique et j’entends le rester.
L’affaire se termina sans vainqueur. Le 14 juillet, Jehannet s’évadait sans que personne sût dire comment.
Mais le malheur voulut qu’au milieu de ces difficultés, la duchesse accueillît à Ferrare Calvin, venu secrètement sous le pseudonyme de Charles d’Épeuveille. Le chef de l’Église de Genève eut de nombreux entretiens secrets avec Renée et devint en quelque sorte son directeur de conscience. Le terrain s’avérait dangereux. Renée n’était plus seulement une souveraine trop française qui refusait d’apprendre l’italien, elle visait maintenant à faire de ses États le centre d’un mouvement subversif destiné à implanter le calvinisme en Italie, menaçant le Saint-Siège jusqu’aux portes de son territoire.
Irrité par la présence de Calvin qu’il n’ignorait pas, Hercule prit ombrage de l’étroite intimité qui semblait unir sa femme à M. de Pons et saisit le premier prétexte pour dépêcher celui-ci en France, avec une mission assez importante pour durer longtemps. Renée, désolée du départ de son ami, se mit à lui écrire lettre sur lettre, et le malheur voulut que plusieurs d’entre elles tombassent sous les yeux du cabinet noir du duc. Sans faire d’éclat, il envoya sa femme « se reposer » dans le lointain château de Consandolo, exil à peine déguisé sous les formes du protocole tandis que M me de Pons devait s’enfuir précipitamment. Mais la correspondance avec Calvin demeura, étroite, intime.
Hercule d’Este n’était pas méchant. Il gardait de plus à sa femme une certaine tendresse, et s’il la tenait éloignée de lui, c’était dans l’espoir qu’elle en viendrait enfin à composition. Mais Renée préférait ses convictions à la vie de famille même, et ce fut le duc qui céda. Comme le pape Paul III annonçait sa visite, il rappela Renée auprès de lui.
Le vieux pontife et la duchesse parurent s’entendre à merveille. Paul III était plein d’indulgence et de mansuétude. Il affecta de voir dans la déviation religieuse de la duchesse une sorte de maladie infantile, et pour la mettre à l’abri d’elle-même comme des sévérités maritales, lui délivra une sorte de bref de tolérance, en souhaitant seulement qu’elle y mît quelque discrétion.
Mais comme sa Bretonne de mère, Renée de France était obstinée, attachée à ses idées comme à ses objectifs, et y mettait de l’entêtement. Elle profita du bref papal pour avancer les affaires des réformés et continua, plus librement que jamais, ses relations avec Calvin.
Elle avait compté sans l’âge de Paul III. Le vieux pontife mourut et fut remplacé par Jules III, beaucoup moins accommodant. Il y avait bien trop longtemps qu’il entendait parler de la duchesse de Ferrare et du foyer de révolte qu’elle entretenait dans cet État. On disait même qu’elle n’accomplissait plus du tout ses devoirs religieux. Il était temps de sévir. Il écrivit au duc Hercule et celui-ci fit sans tarder connaître à sa femme la volonté du pape.
— Elle est, Madame, qu’aux Pâques prochaines, vous accomplissiez publiquement vos devoirs religieux.
On ne vous voit plus jamais au tribunal de la Pénitence, pas plus qu’à la Table sainte !
— Et l’on ne m’y verra plus ! Je n’accomplirai pas ce que vous appelez mes devoirs, et qui sont pour moi choses sans signification désormais.
Hercule, épouvanté, tenta vainement de mettre sa femme en garde contre une révolte aussi ouverte. Avec obstination, Renée refusa de céder.
— Alors, soupira Hercule, vous m’obligez à employer les grands moyens.
— Lesquels ? La tour des Lions ?
Un seul prisonnier demeurait encore dans la tour. Ferrante y était mort quelques années auparavant. Seul Jules y restait encore, fantôme aveugle et désormais privé de réaction. Hercule détourna les yeux.
— Une autre tour, Madame, où vous aurez vos aises. Mais vous ne
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