Sur la scène comme au ciel
la
reproduction du troupeau des brebis du Seigneur (lui, ce n’était pas pareil, il
avait fait vœu de chasteté), et qu’en rémission de ses péchés il, notre père,
savait ce qu’il lui restait à faire, qui ne consistait pas seulement à réciter
une demi-douzaine de rosaires comme d’habitude et pour la peine, mais à égrener
autant d’enfants que de chapelets. L’enfant comme une pénitence. Or ces
admonestations ne remontent pas au temps du père Louis-Marie Grignon de
Montfort, le grand inquisiteur des âmes de l’Ouest, le pourfendeur du
jansénisme lequel avait gagné à sa cause les châtelains (par exemple, le
marquis de Cambout, de notre duché de Coislin, qui entretint une correspondance
avec Port-Royal, ce qui fait que nous voilà bien, coincés entre l’austérité et
sa surenchère, entre la morale des princes et celle de l’Eglise, vous jugez de
notre marge de manœuvre et ce que ça nous laissait comme plaisirs terrestres,
car Grignon prit grand soin de baliser comme un petit Poucet ses chemins de
mission, laissant un calvaire monumental à Pontchâteau, une pierre à
Saint-Philibert-de-Grand-Lieu dont on raconte qu’elle lui servit d’oreiller,
preuve qu’on ne pouvait l’accuser de mollesse, tant il est vrai qu’on ne
détourne de l’esprit de rigueur qu’au prix d’une rigueur plus grande, sa tombe
à Saint-Laurent-sur-Sèvres, et des congrégations comme s’il en pleuvait, de
quoi assurer le suivi de son apostolat, l’épisode glorieux de nos zouaves
attestant que ce suivi avait été assumé sans faiblesse), mais seulement dix ans
après la fin de la seconde guerre mondiale, quand jusque dans les familles
catholiques, moins peut-être les polonaises, les irlandaises et deux ou trois
ferventes de notre canton, on suivait, comme on consulte un bulletin météo, les
courbes de température du docteur Ogino, de son vrai nom Ogino
Kyusaku – et on comprend que c’est du Japon, où le manque de place a
toujours été criant, que nous soit venue la fameuse méthode –, pour
prévoir le bon temps de cette carte du Tendre. Pas toujours très fiable, au
vrai, puisque nous savons, mais par quelle confidence ? que notre même
maman, après la petite dernière inopinée, imposa à notre même papa, ceci afin
de bien manifester son désaccord quant à son interprétation erronée des prévisions
à neuf mois, une cure d’amour sabbatique.
Bien sûr, le cinéma était inventé, et il y avait déjà
quelques dizaines d’années qu’on s’embrassait à pleine bouche du côté
d’Hollywood, on y organisait même des concours du baiser le plus long, mais
l’Eglise n’avait pas son pareil pour annexer toute nouvelle forme de
communication et, si elle s’était montrée si empressée à la création de salles
de cinéma paroissiales, c’était pour garder la haute main sur la programmation.
La garde implacable des Montfortains veillait au grain. C’est ainsi que dans la
salle Saint-Victor, du nom de notre ermite fondateur dont les restes reposent
dans la chapelle éponyme voisine, nous pouvions voir Le Ballon rouge d’Albert Lamorice, Le Voyage en ballon , du même, ou encore Crin-Blanc ,
toujours du même, de sorte que nous pensions qu’il était le seul cinéaste à ne
pas réaliser des films non édifiants, car pour le reste c’était la vie de
Bernadette Soubirous, ou de Thérèse de Lisieux, ou de saint Vincent de Paul, ce
qui nous apprend peu sur le rituel amoureux. Car des couples qui
s’embrassaient, au vu et su, c’est-à-dire sur la place publique, non, ça
n’existait pas. Pas même le jour de leur mariage. Plus tard, toujours au
cinéma, on a vu qu’après s’être assurés de leur assentiment mutuel les mariés
se penchaient l’un vers l’autre, lèvres tendues, et devant le prêtre qui ne
paraît pas choqué, ni même gêné, s’embrassaient à la barbe du Christ. Dans une
église anglicane peut-être, qui naît d’ailleurs d’un adultère, d’une
répudiation, d’un arrangement matrimonial, mais pas chez nous, avec l’abbé
Travaillé hurlant en chaire Oh, le démon, avec cet autre se glissant du
fond de son confessionnal dans l’intimité des époux. Donc, à Campbon,
Loire-Inférieure, pas de manifestations de tendresse. De sorte que papa, quand
il revenait de ses tournées hebdomadaires, déposait un baiser sur la joue de
maman. N’en concluez rien, ni sentiments vagues, ni perte d’affection. Je sais
maintenant.
Sur leur rencontre, je
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