Sur la scène comme au ciel
plus qu’à
Lourdes, où l’on était sans doute trop occupé par les apparitions mariales,
plus même qu’à Savenay, notre voisine, mais qui n’avait peut-être pas besoin de
cette surenchère, étant par la victoire sur ses terres des Bleus sur les Blancs
déjà entrée dans l’histoire (on montrait encore, quand nous étions enfants, le
champ vallonné où avait eu lieu l’affrontement, en prélude à la débandade des
Vendéens). Mais cet épisode digne de la croisade des enfants inspira à un abbé
Alcide Bernard, professeur au petit séminaire de Guérande, institution qui
ratissait tous les fils pauvres forts en thème de la région, une pièce
inédite à grand spectacle intitulée : La sublime histoire des
Zouaves pontificaux, ainsi présentée : drame historique en un
prologue, cinq actes et douze tableaux, lequel met en scène, dans une
version édifiante où le recours à la prière constitue l’arme absolue contre les
ennemis de la chrétienté, nos volontaires papistes.
On ne sache pas que l’œuvre ait été publiée – le
texte disponible, retrouvé dans la bibliothèque du petit bureau où domine les
livres de la collection Nelson, passé jusque-là inaperçu tant avec sa
couverture de papier d’emballage usagé il ressemblait à un très vieux cahier
d’écolier, est manuscrit, ronéotypé, et se présente sous la forme d’un petit
fascicule de cinquante-huit pages reliées à la pliure par un fil après qu’une
tentative d’agrafage eut visiblement échoué en laissant deux trous –, en
revanche elle fut jouée pour la première fois , donc en première
mondiale, les 16, 20, 23 et 30 avril 1939, à l’occasion de l’inauguration de la
salle paroissiale dite « Salle du Souvenir des Zouaves Pontificaux
Campbonnais », ce qui laisse entendre qu’elle fut reprise dans les
villages avoisinants, voire à Nantes, la musique de scène ayant été composée
par l’abbé Courtonne, organiste du grand orgue de la cathédrale Saint-Pierre,
ce qui suggère que ce projet théâtral bénéficiait de hauts appuis, ce dont
témoigne également l’imprimatur accordé par le vicaire général de Nantes,
Joseph Guiho. Mais cette commémoration de la levée en masse de nos vaillants
Campbonnais pour la défense des Etats pontificaux marque l’entrée de notre
commune rurale en littérature. Noms de villages et patronymes sont bien d’ici.
On y voit un fils, François, âgé de dix-sept ans, annoncer à ses parents, dits
le père et la mère Briand, qu’il va s’enrôler dans les nouvelles légions de la
foi pour bouter, à la Jeanne d’Arc, en plus mâle, le diable rouge. Ce qui
ressemblerait, bien qu’on ne s’y exprime pas comme des charretiers, à un drame
paysan, si le premier tableau, après un prologue tiré du psaume VII (Seigneur, en vous j’ai mis ma confiance, Sauvez-moi de mes ennemis), n’exposait d’emblée le nœud de l’affaire, le pape assiégé et la crise
politico-religieuse avec risques d’internationalisation du conflit romain sur
fond d’unité italienne et de laïcisation de la société. C’est pourquoi la
première scène nous transporte à Chambéry où – et c’est là que le
drame campagnard prend de la hauteur – Napoléon III reçoit les
envoyés de Victor Emmanuel accourus demander de l’aide à l’empereur, lequel, la
tête entre les mains, après avoir arpenté nerveusement en tous sens son bureau
et tiraillé sa barbiche, gémit : Le pape, toujours le pape, cette
question romaine me fera perdre la tête. En fait, ce sera davantage la
question prussienne, mais ceci, cette rencontre au sommet afin de nous expliquer
l’impasse diplomatique, et nous préparer au coup de théâtre du second tableau
où, devant l’impuissance des gouvernants visiblement débordés par la complexité
des événements, ce sont nos paysans qui vont prendre sur eux de dénouer la
crise (évident écho de la chouannerie, où ce sont ces mêmes paysans qui
tirèrent Charrette de dessous son lit où il se cachait, peu empressé à l’idée
de défendre le roi et la religion, pour qu’il prenne la tête de leur
rébellion). Car dès le second tableau le terrain nous devient familier puisque,
délaissant les appartements impériaux, nous nous glissons à présent dans la
ferme des Briand (un intérieur de maison arrangé de sorte qu’un rideau
descendant au milieu de la scène représente un paysage campbonnais, la chapelle
Saint-Victor – ce qui
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