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Sur la scène comme au ciel

Sur la scène comme au ciel

Titel: Sur la scène comme au ciel Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean Rouaud
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l’empereur traité en incise de franc-maçon – d’où l’on craint
pour les choix politiques futurs de l’abbé Bernard dans l’époque troublée qui
s’annonce –, et celles de Garibaldi. Au final, Lamoricière est défait et
tous les survivants prisonniers. Que faire ? se lamentent les camarades.
Réponse énergique de François : Nous n’allons pas rester ici à planter
nos choux pendant qu’on dépouille le pape. Le planter nos choux étant à prendre à la lettre, l’alternative d’un voyage à Rome ne se refuserait
pas, n’était le risque qu’il fait courir aux volontaires. Argument balayé dans
un autre tableau par François apostrophé –  et toi, le gars de
Campbon  – par Charrette : Oh, il n’y a pas de danger pour
moi, et puis, même s’il fallait mourir, je crois que je serais prêt.
    Vous, vous souriez. Mais imaginez que celui à qui l’on fait
tenir de tels propos, soit votre père, qui va traverser en trompe-la-mort les
années de guerre et mourir, oui, presque de guerre lasse, à quarante et un ans,
un lendemain de Noël, ce qui, cette disparition soudaine, aussi invraisemblable
que cela semble, arrive, alors que quelques minutes avant sa mort il vous
parlait, vous donnant rendez-vous pour le lendemain après vous avoir souhaité
une bonne nuit – et même une bonne fête pour les Jean placés sous le
haut patronage du quatrième évangéliste dont on commémore le souvenir chaque 27
décembre. A nos oreilles, cette phrase pompeuse se charge soudain d’un ton
douloureusement prophétique, comme si ces quelques mots condensaient
l’essentiel du programme de sa vie à venir. Comment ne pas en être
troublé ? Comment ne pas se demander si, ce rôle de patriote rebelle, à
quatre mois de l’embrasement général où semblablement faillirent les
gouvernants, ne l’a pas préparé à son engagement du côté des offensés.
Peut-être, devant la chapelle ou ailleurs, alors que les troupes allemandes
venaient de prendre position dans le village, a-t-il tenté de convaincre ses
camarades de poursuivre la lutte, concluant son harangue comme son héros
François : Pour moi, ma résolution est prise. Et plus loin, à un
autre zouave : Nous vois-tu attendre les bras croisés, impuissants,
immobiles, pendant qu’on se battrait d’un autre côté ? La leçon fut
bien retenue. Et sans doute, avec l’énergie et l’insouciance de la jeunesse,
a-t-il traversé les années de guerre avec ce sentiment qu’il n’y avait pas de
danger pour lui, ce qui lui faisait conclure qu’il avait eu de la chance, mais
mourir à quarante et un ans, se sentait-il vraiment prêt ? Ses doutes sur
la fin qu’il confiait à son confesseur, où la foi absolue de son modèle
François vacille, lequel interrogeait après la bataille victorieuse à dix-sept
contre mille le sergent : Vous, vous n’avez jamais douté ? Et
le sergent : Douter ? Il me vient quelquefois des idées comme ça. Où l’on comprend de toute manière à la lecture de ce drame édifiant qu’à
Campbon, Loire-Inférieure, on avait des visées supérieures, que mourir en odeur
de sainteté constituait le programme de toute une vie, et donc que, pour les
jeux de l’amour, ce ne devait pas être une partie de plaisir.

 
    Dans une de ses dernières confidences, comme un aveu sur sa
sexualité et une revendication de sa vie pleine et entière de femme avant son
veuvage, maman racontait que Joseph, son homme, donc, son homme unique, avait
été sévèrement tancé en confession par le prêtre après qu’il eut expliqué,
évidemment à la demande insistante de l’inquisiteur pour qui il convenait de
s’en remettre aveuglément aux voies impénétrables de la Providence, que dans le
couple qu’il formait avec son épouse on prenait bien sûr des précautions au
moment de passer à l’acte, ce que l’autre, très au fait semble-t-il de la nature
de l’acte, ne pouvait entendre, en dépit de son oreille collée aux croisillons
de bois de la cloison du confessionnal, la main formant un pavillon pour ne pas
perdre une miette des aveux extorqués au pénitent, de sorte que s’élevant de la
pénombre d’où émergeait le surplis blanc, la voix du spectre se lançait
aussitôt dans une argumentation bien rodée par trois siècles de Contre-Réforme,
d’où il ressortait que : croissez et multipliez, qu’en conséquence nos
parents manquaient gravement à la parole de Dieu en refusant de participer à

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