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Survivant d'Auschwitz

Survivant d'Auschwitz

Titel: Survivant d'Auschwitz Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Thomas Gève
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qu’il valait mieux les voir comme un luxe, un festin, qui nous permettait de nous repérer dans le temps.
    *
     
    Officiellement, les écuries étaient terminées et à notre grand regret, notre petit kommando de maçons avait été dissous. Des tempêtes de vent et de pluie précédaient un autre hiver au camp. Pouvions-nous ne serait-ce que l’envisager si nous travaillions dans un plus grand kommando, où le travail serait plus dur et où, en tant que « nouveaux », nous serions exploités à l’extrême ? Nous nous cassions la tête pour trouver une solution.
    Nous fûmes donc douze, soit le reste du kommando des « Nouvelles écuries », à n’avoir pu trouver un nouveau travail, qui fût plus ou moins acceptable, et nous nous présentâmes au point de rassemblement des chômeurs pour postuler pour un travail de déchargement de wagons, tâche d’esclave que je connaissais bien, pour y avoir déjà goûté. Le jour pointait à peine ; il était un peu moins de six heures. L’un après l’autre, les kommandos de « spécialistes » quittaient le camp au son de marches jouées par l’orchestre, laissant derrière eux douze âmes en peine, qui comme moi, se sentaient désespérées, inutiles et sans expérience. J’étais aussi seul que le jour de mon arrivée.
    Tout à coup, notre contremaître – celui qui parlait anglais – nous fit une proposition : nous devions, nous aussi, faire comme si nous sortions. Il avait un plan, mais ne voulait pas nous le dévoiler. « Laissez-moi faire, dit-il rapidement, en se plaçant en tête, pour conduire notre formation. C’est maintenant ou jamais, sinon ils nous enverront chez les “musulmans”, et là, nous pourrons décharger les sacs de béton au pas de charge. Allez, les garçons ! On y va ! Et surtout, vous n’oubliez pas : les mains et le calot sur la couture du pantalon, vous marchez à pas courts et rapides ! »
    «  Kommando Aufräumungsarbeiten Neue Pferdeställe 12 Mann, Voll! * » (« Kommando des travaux de déblayage des Nouvelles écuries, 12 hommes, au complet »), hurla notre représentant, une fois que nous fûmes arrivés au portail. Le garde SS survola sa liste – il n’avait pas entendu parler de ce kommando et ne trouvait aucun dossier correspondant. Et pour cause, il n’existait pas ! Notre contremaître trouva vite une explication à fournir.
    « OK, c’est bon, fit le SS qui, satisfait, inscrivit soigneusement notre kommando tout juste formé sur sa liste de contrôle. Gare à vous, si vous laissez du chantier derrière vous. Vous savez ce qui vous attend ! On vous apprendra à travailler proprement ! »
    Notre coup avait réussi. Vers midi, le contremaître irait trouver notre ancien surveillant SS et saurait le convaincre – si nécessaire – et de facto notre kommando serait légitimé, car ce n’était pas le travail qui manquait : travaux d’embellissement, rafraîchissement des peintures, grimper sur la charpente pour vérifier le bon positionnement des tuiles, afin d’éviter les fuites du toit. N’importe quel surveillant un peu consciencieux ne pouvait que se réjouir. Petit kommando de douze hommes, le plus petit et sans doute le plus agréable de tous, nous fûmes heureux de retourner aux écuries. La chaleur animale, les ballots de paille, les navets à profusion, l’odeur sucrée du foin, nous ne pouvions pas nous plaindre ! Nous nous sentions en totale harmonie ; après y avoir transpiré sang et eau à leur construction, nous allions en tirer le meilleur parti de ces écuries. Notre contremaître était satisfait, lui également, car il avait été promu au rang de sous-kapo. Tant d’intelligence méritait bien un tel honneur !
    Mon second hiver s’annonçait plus supportable que le premier. J’étais moins affamé et je n’avais plus peur de cet univers alentour. L’avenir était devant moi et j’y lisais à livre ouvert – un livre, qui attendait que la jeunesse en déchirât les pages sombres, les reliât dans l’inaltérable édition du progrès, de l’égalité et de la fraternité ; un livre, qui ferait apparaître sur la tranche, en lettres d’or, un mot ineffaçable : justice.
    Le chef de chambrée m’envoyait souvent comme porte-parole aux cuisines, où j’étais chargé de plaider la cause des jeunes du bloc 13a, dans l’espoir d’obtenir un caisson de soupe supplémentaire. Parfois, lorsque j’avais su me montrer particulièrement convaincant, nous

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