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Survivant d'Auschwitz

Survivant d'Auschwitz

Titel: Survivant d'Auschwitz Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Thomas Gève
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ait un bon poste ou soit en position de pouvoir faire du trafic ? Non. Ils ne parlent ni l’allemand ni le polonais, comment veux-tu qu’ils puissent s’impliquer dans la moindre intrigue un peu compliquée ? Tu crois que ces bouseux de la campagne, qui connaissent à peine la valeur de l’argent, seraient capables de faire du marché noir ou la moindre affaire ? Leur seule richesse est leurs muscles, et ils en font amplement usage. Donc, mon cher, ta compassion pour ceux qui se font voler est complètement hors sujet. D’ailleurs, les gens qui gardent leur pain pour l’échanger contre du tabac ne méritent pas beaucoup mieux. Tout ce qui n’est pas immédiatement mangé est de trop ; donc ne viens pas t’étonner que ceux qui ont faim aillent le prendre là où ils le trouvent. »
    J’étais absolument atterré par les prises de position de mon ami et continuai d’argumenter sur le fait que voler un codétenu était une chose épouvantable, « … un crime lâche », criai-je. « Mais pas pire que ceux que commettent les autres », répliqua mon opposant, qui entre-temps était tout aussi énervé que moi. « Enfin c’est un secret de Polichinelle, tout le monde sait que les Allemands, depuis les postes importants qu’ils tiennent parmi le personnel, prennent sur nos propres rations et se servent sans vergogne. C’est permis, peut-être ? Et les Tsiganes, qui vendent des cigarettes, dont ils ont habilement retiré la moitié du tabac ? Et les Juifs, qui volent autant qu’ils peuvent ? C’est tout aussi indélicat ! Ou peut-être pas, parce que vous le faites plus aimablement ? Mes compatriotes sont des gens rudes et sans détour. Ils font comme les autres, sauf qu’ils utilisent la violence, qu’ils sont durs et ne s’en cachent pas. »
    J’avais encore quelques arguments : « N’essaye pas de me convaincre, continuai-je sans me laisser faire, ce sont des canailles qui me répugnent. Vraiment, la Russie n’a pas de quoi être fière avec des enseignes pareilles ! » « Très bien, me répondit-il sur un ton apparemment très calme, mais plein d’ironie, moi, je te conseille une chose : va leur poser la question, demande-leur ce qu’ils pensent du monde occidental. Vas-y, mais surtout dis-leur que ce qu’ils ont vu, c’est cela la civilisation ! »
    Il y eut un temps d’arrêt. L’Ukrainien avait réussi à me pousser dans mes derniers retranchements, avec des arguments que je trouvais un peu biaisés et sur un sujet que j’étais trop jeune pour discuter. À mon soulagement, il changea de conversation et termina en disant : « Si tu as encore envie de te disputer avec moi, n’oublie pas une chose : pour nous, l’escroquerie par-derrière ou le banditisme public, c’est la même chose. »
    J’eus également des discussions avec un Polonais qui travaillait aux abattoirs. « L’époque où l’on pouvait s’enrichir en faisant du trafic de saucisses est quasiment révolue, me racontait-il, toutes nos méthodes pour “organiser” ont été découvertes et les contrôles sont maintenant très sévères. » Une des méthodes « d’organisation » que je connaissais, consistait à boucher la canalisation ; il fallait alors faire venir le kommando des plombiers, qui à l’aide de longs furets, débouchaient la crasse. Quand le furet apparaissait à l’autre bout de la canalisation, les complices n’avaient plus qu’à y enfiler quelques saucisses.
    Une grande partie de la viande utilisée pour fabriquer la charcuterie venait de la marchandise avariée qu’envoyaient les boucheries d’Auschwitz vers le camp. « Parfois, elle est pleine d’asticots, rien que la vue te donne envie de vomir », me racontait mon camarade.
    Le jeudi suivant, jour où nous recevions une partie de notre ration de saucisson – 100 grammes distribués en deux fois dans la semaine –, je dus me faire violence pour suivre mes résolutions et surtout ne pas penser aux ingrédients. Avant cette histoire, je m’intéressais beaucoup aux mérites, bien qu’assez relatifs, des trois différents types de saucisses que nous recevions – boudin noir épicé, pâté de foie avec des arêtes de poisson ou saucisson de porc avec beaucoup de gelée autour. Désormais, je préférais ne plus avoir la moindre impression. Sachant leur provenance, elles n’étaient plus à mes yeux qu’une répugnante escroquerie de plus, mais considérant où elles allaient finir, je me disais

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