Taï-pan
enfin.
— Prêter de l’argent est une importante affaire.
— À des taux d’intérêt raisonnables.
— Un pour cent au-dessous du taux habituel ?
— Deux pour cent.
— Un et demi pour cent de moins serait très, très honnête.
— Bon. Honnête. Tu es un homme d’affaires bien malin, Gordon. L’année prochaine, peut-être pourrais-je augmenter ton crédit.
— Je m’efforcerai de faire un superbe bénéfice en attendant votre décision.
— Je parie que tu y arriveras, Gordon. »
Struan se tourna vers l’ouverture de la tente et fut surpris de voir arriver à grands pas le capitaine d’armes des fusiliers marins.
« Monsieur Struan ? Son Excellence vous fait ses compliments et demande que vous veniez tout de suite à bord du navire amiral. »
Struan regarda l’heure. Il n’était pas en retard, mais il acquiesça aussitôt.
« J’arrive. »
18
L ONGSTAFF tournait le dos à la porte et contemplait la malle des Indes par la grande baie de la cabine. Struan remarqua que, sur la table, un couvert pour quatre était disposé. Sur le bureau, de nombreuses dépêches officielles s’entassaient.
« Bonjour, Dirk, dit Longstaff en se retournant, la main tendue. Alors, qu’est-ce que vous dites de ça, hé ?
— De quoi donc ? »
Struan devinait qu’il devait s’agir du Russe, mais il laissa à Longstaff le plaisir de l’annoncer. Il voulait aussi connaître son opinion car, si Longstaff était dépassé par les événements, en Asie, et peu fait pour être capitaine surintendant du Commerce, ses vues sur les affaires diplomatiques européennes étaient aiguës et fort pénétrantes.
Depuis que Struan avait résolu le problème d’Aristote et envoyé Robb le conduire à bord, en sécurité, il s’était interrogé sur la raison de l’arrivée du Russe. Sans savoir pourquoi, il en était troublé.
« Vous ne pouvez pas encore l’avoir appris, mais nous avons un invité inattendu.
— Ah ? Qui ?
— Un grand-duc, pas moins. Un grand-duc russe. Alexei Sergueyev. Il est arrivé par la malle. »
Struan se montra convenablement impressionné. « À quoi devons-nous cet honneur ?
— À quoi, en effet ? dit Longstaff en se frottant joyeusement les mains. Il va déjeuner avec nous. Clive l’accompagne. »
Clive Monsey, fonctionnaire du Foreign Office comme Longstaff, était son adjoint. Les fonctions de Monsey le retenaient normalement à Macao, où se trouvait le quartier général permanent de Longstaff.
« Il y a aussi d’intéressantes dépêches », dit Longstaff.
Struan dressa l’oreille. Il savait qu’aucune ne contenait l’approbation officielle du traité de Chuenpi et de la nomination de Longstaff au poste de premier gouverneur de Hong Kong, car la nouvelle de l’heureuse conclusion de la guerre parvenait à peine en Angleterre.
Struan accepta un verre de xérès.
« Le Moyen-Orient ? demanda-t-il en retenant son souffle.
— Oui. La crise est terminée, grâce à Dieu. La France accepte les conditions de notre ministre des Affaires étrangères et une guerre générale n’est plus à craindre. Le sultan de Turquie nous est si reconnaissant de notre soutien qu’il a signé un traité commercial avec nous annulant tous les monopoles commerciaux turcs, ouvrant ainsi tout l’Empire ottoman au commerce britannique. »
Struan laissa échapper un cri de joie.
« Par tout ce qu’il y a de sacré ! Voilà la meilleure nouvelle que nous recevons depuis longtemps !
— Je pensais que cela vous ferait plaisir. »
La longue crise avait eu pour objet les Dardanelles, ce détroit contrôlé par l’Empire turc ottoman. C’était la clef de l’Europe méditerranéenne, un casus belli perpétuel entre les Grandes Puissances – la Grande-Bretagne, la France, la Russie, l’Autriche-Hongrie et la Prusse – parce que les Dardanelles étaient un raccourci pour les bâtiments de guerre russes allant en Méditerranée et permettait aussi aux navires de guerre des autres nations de pénétrer dans la mer Noire pour menacer la Russie. Huit ans plus tôt, la Russie avait contraint la Turquie de signer un traité lui accordant une suzeraineté commune sur les Dardanelles et, depuis, la tension internationale avait été aiguë. Et puis, trois ans plus tôt, Méhémet Ali, le pacha-soldat d’Égypte, un usurpateur soutenu par la France, avait lancé une offensive contre Constantinople, s’était lui-même proclamé Calife de
Weitere Kostenlose Bücher