Taï-pan
fortune !
— Sûr. »
Struan laissa son regard errer sur la rade ; il y avait une vingtaine d’années qu’il l’avait découverte. La queue d’un typhon l’avait surpris en haute mer et bien qu’il se fût préparé à la tempête il n’avait pu fuir et avait été impitoyablement repoussé vers le continent. Son navire avait couru à sec de toile, malmené par la mer, le ciel diurne et l’horizon oblitérés par les seaux d’eau que les Vents Suprêmes soulevaient de l’océan et leur jetaient à la face. Puis, près de la terre et par mer tumultueuse, il avait perdu les traînards et Struan avait compris que sans ces stabilisateurs le navire était perdu. La mer s’en empara et le projeta vers la terre. Par miracle, une saute de vent le fit dévier d’une fraction de degré et le poussa, doublant les récifs, dans un étroit chenal qui ne figurait pas sur les cartes, large de trois cents mètres à peine, que la pointe Est de Hong Kong formait avec le continent – et de là dans la rade. En eaux sûres.
Le typhon avait coulé une bonne partie de la flotte marchande de Macao, et des dizaines de milliers de jonques tout au long de la côte. Mais Struan et ses jonques, à l’abri à Hong Kong, le subirent confortablement. La tempête passée, Struan avait fait le tour de l’île, pour en dresser la carte. Puis il avait rangé le renseignement dans un casier de son esprit et s’était mis à tirer des plans, en secret.
Et maintenant que tu es à nous, alors je peux partir, pensa-t-il avec une exaltation croissante. À présent, le Parlement.
Depuis des années, Struan savait que le seul moyen de protéger la Noble Maison et la nouvelle colonie se trouvait à Londres. Le véritable siège du pouvoir sur la terre était le Parlement. En tant que membre du Parlement, soutenu par la puissance et la richesse que lui donnait la Noble Maison, il dominerait la politique étrangère asiatique comme il avait dominé Longstaff. Sûr.
Quelques milliers de livres te feront entrer au Parlement, se disait-il. Plus besoin maintenant d’intervenir à travers d’autres. À présent, tu pourras intervenir en personne. Sûr, c’est enfin à ta portée, gamin. Quelques années, et puis la pairie. Et puis le Cabinet. Et puis, bon Dieu, tu traceras une route pour l’Empire et l’Asie et la Noble Maison qui durera mille ans !
Robb l’observait. Il savait qu’il était oublié mais cela lui était égal. Il aimait observer son frère quand ses pensées volaient loin. Lorsque la figure du Taï-pan perdait sa dureté et ses yeux leur froideur verte, quand son esprit était emporté par des rêves que Robb ne pourrait jamais partager, il le savait, Robb se sentait très proche de lui et très protégé.
Struan rompit le silence.
« Dans six mois, tu me remplaceras et tu deviendras taï-pan. »
Le cœur de Robb se serra de peur.
« Non ! Je ne suis pas prêt.
— Tu es prêt. C’est uniquement au Parlement que je pourrai nous protéger. Nous et Hong Kong.
— Oui, souffla Robb, puis il ajouta en s’efforçant de maîtriser sa voix : Mais ce devait être dans l’avenir… dans deux ou trois ans. Il y a encore trop à faire ici !
— Tu peux le faire.
— Non.
— Si, tu le peux. Et Sarah n’en doute absolument pas, Robb. »
Robb se tourna vers le Resting Cloud , leur navire-entrepôt, où vivaient provisoirement sa femme et ses enfants. Il savait que Sarah était trop ambitieuse pour lui.
« Je ne veux pas, Dirk. Pas encore. Il y a bien assez de temps. »
Struan songea au temps. Il ne regrettait pas les années passées en Orient, loin de la terre natale. Loin de sa femme, Ronalda, de Culum et d’Ian, de Lechie et de Winifred, ses enfants. Il aurait aimé les avoir auprès de lui mais Ronalda haïssait l’Orient. Ils s’étaient mariés en Écosse, alors qu’il avait vingt ans et Ronalda seize, et ils étaient aussitôt partis pour Macao. Mais elle avait détesté le voyage en mer et détesté Macao. Leur premier fils était mort à sa naissance et l’année suivante, lorsque le deuxième garçon, Culum, était venu au monde, il avait une santé chancelante. Struan avait donc renvoyé sa famille en Écosse. Tous les trois ou quatre ans, il y allait passer des vacances. Un mois ou deux à Glasgow, et puis de nouveau l’Orient, car il y avait beaucoup à faire et la Noble Maison à construire.
Je ne regrette pas un instant, se dit-il. Pas une minute. Il faut qu’un homme
Weitere Kostenlose Bücher