Taï-pan

le ramassa et le déroula.
    C’était une délicate aquarelle chinoise, avec de nombreux caractères d’écriture, représentant une marine, et puis un tout petit homme s’inclinant devant une minuscule femme au pied d’une haute montagne embrumée. Un sampan quittait la rive rocheuse.
    « D’où ça vient donc ?
    — Ah Sam l’a acheté à Tai Ping Shan.
    — C’est bien joli.
    — Oui », dit paisiblement May-may encore tout émerveillée de l’admirable subtilité de son grand-père.
    Jin-qua avait envoyé le rouleau à l’un de ses suppôts à Tai Ping Shan, à qui May-may achetait de temps en temps du jade. Ah Sam l’avait accepté sans méfiance comme un cadeau pour sa maîtresse. May-may savait qu’Ah Sam et Lim Din avaient examiné l’aquarelle et les caractères avec beaucoup d’attention, mais elle était sûre qu’ils ne pourraient jamais deviner qu’elle contenait un message secret. Il était trop bien dissimulé. Même le chop de famille personnel de son grand-père était adroitement recouvert d’un autre chop. Et le poème était charmant : « Six nids sourient aux aigles, Feu vert au lever du soleil, Et la flèche apporte une nichée d’espoir. » Allons, qui, à part elle, comprendrait qu’il la remerciait du renseignement concernant les six millions de taels, que « feu vert » était le Taï-pan et qu’il allait lui envoyer un messager, portant une flèche quelconque comme signe de reconnaissance, pour l’aider de toutes les manières possibles.
    « Que signifient les caractères ? demanda Struan.
    — Difficile à transdire, Taï-pan. Je ne sais pas bien les mots, mais ça dit : “Six maisons d’oiseaux sourient aux grands oiseaux, le feu vert est dans le lever du soleil, la flèche apporte… apporte des petits oiseaux d’espoir.”
    — C’est du charabia, ça ? » déclara Struan en riant.
    Elle poussa un petit soupir de félicité.
    « Je t’adore, Taï-pan.
    — Je t’adore, May-may.
    — Cette prochaine fois que nous construisons la maison, première chose le monsieur fêng shui, s’il te plaît ? »

30
    À L’AUBE , Struan monta à bord du Calcutta Maharadjah , le navire marchand qui ramenait Sarah dans son pays. Le navire appartenait à la Compagnie des Indes orientales britanniques. Il devait appareiller à la marée, dans trois heures ; et l’équipage s’affairait sur les ponts et dans les haubans.
    Struan descendit et frappa à la porte de la cabine de Sarah.
    « Bonjour, Sarah. »
    La cabine était vaste et commode. Des jouets, des vêtements, des valises et des chaussures jonchaient le tapis. Lochlin sommeillait nerveusement dans un petit berceau, sous le hublot.
    « Vous êtes bien prête, Sarah ?
    — Oui. »
    Il lui remit une enveloppe.
    « Voilà un billet à vue de cinq mille guinées. Vous en recevrez un tous les deux mois.
    — Vous êtes très généreux, persifla-t-elle.
    — Cet argent est à vous. Du moins, c’est celui de Robb, pas le mien. Je respecte son testament, simplement. J’ai écrit pour organiser le fidéi-commis qu’il désirait, et vous recevrez les papiers nécessaires. J’ai également écrit à Père de vous accueillir au port. Voudriez-vous avoir la disposition de ma maison de Glasgow, en attendant d’en trouver une qui vous plaise ?
    — Je ne veux rien de vous.
    — J’ai écrit à nos banquiers d’honorer votre signature, toujours selon les instructions de Robb, à concurrence d’une somme de cinq mille guinées par an, en plus de votre pension. Il faut bien vous mettre dans la tête que vous êtes riche, et je dois vous conseiller la prudence, car nombreux seront ceux qui chercheront à vous priver de votre fortune. Vous êtes jeune, vous avez la vie devant vous et…
    — Je n’ai que faire de vos conseils, Dirk, siffla Sarah d’une voix cinglante. Quant à prendre ce qui m’appartient, je saurai veiller sur mes intérêts. Je l’ai toujours fait. Quant à ma jeunesse, je me suis vue dans une glace. Je suis vieille et laide. Je le sais et vous le savez. Je suis usée ! Et vous, si gentiment assis sur votre sale mur pourri, jouant un homme contre un autre, une femme contre une autre ! Vous êtes heureux que Ronalda soit morte. Elle a plus que rempli sa mission. Et ça fait place nette pour la suivante. Ce sera qui ? Shevaun ? Miss Sinclair ? La fille d’un duc, peut-être. Vous avez toujours visé haut. Mais qui que ce soit, elle sera jeune et riche et vous en