Taï-pan

mois prochain ? Tout ce qui sera bon pour Tess sera bon pour moi.
    — Elle est bien jeune, petit, mais je suis bien heureux que vous disiez ça que vous dites là », dit Brock, un peu attendri par le vin.
    Gorth maîtrisa sa voix et déclara posément :
    « Quelques mois, ça va pas être un drame pour vous deux, hé, Culum ? L’année prochaine, c’est dans six mois, aussi bien.
    — Sept, dit impatiemment Culum.
    — C’est pas à moi de décider, d’abord. Ce qui est bon pour vous deux, ce sera bon pour moi, voilà ce que je dis. Et toi, Pa ? demanda Gorth en mettant délibérément Brock au pied du mur.
    — J’y réfléchirai. Elle est bien jeunette. La hâte, c’est inconvenant. Ça fait à peine trois mois que vous vous connaissez…
    — Mais je l’aime, monsieur Brock ! Trois mois ou trois ans n’y changeront rien !
    — Je sais, petit, soupira Brock, non sans douceur, en se rappelant la joie éclatante de Tess quand il lui avait annoncé qu’il donnait son consentement. Mais il me faut penser à votre bien, à tous les deux. Il me faut le temps de réfléchir. »
    Pour savoir ce que t’as derrière la tête, Dirk, songea-t-il.
    « Je crois que ce serait très bon pour eux et pour nous aussi, dit Struan en sentant presque irradier la joie de son fils. Tess est jeune, oui. Mais Liza était jeune aussi, et la mère de Culum. C’est la mode de se marier jeune. Ils ont de l’argent, et un riche avenir. Avec du joss. Alors je dis que ce serait bon. »
    Brock se frotta le front avec le dos de la main.
    « Me faut réfléchir. Et puis je vous dirai, Culum. C’est comme qui dirait soudain, et c’est pour ça que je demande du temps. »
    Culum sourit, touché par la sincérité apparente de Brock. Pour la première fois, il éprouvait de l’affection pour lui, et il avait confiance.
    « Naturellement », dit-il.
    Struan vit que Culum se laissait attendrir par cette fausse amabilité et se dit qu’une pression les obligerait à se montrer sous leur vrai jour.
    « Tu as besoin de combien de temps, Tyler ? Enfin quoi ! On ne va pas laisser ces jeunots se languir comme des poissons à l’hameçon, et y a tout un tas de choses à préparer. Il faut que ce soit le plus grand mariage que l’Asie ait jamais vu !
    — Si j’ai bonne mémoire, rétorqua sèchement Brock, c’est le papa de la mariée qui donne le mariage. Et je suis tout ce qu’il y a de compétent à savoir qu’est-ce que c’est qui se fait et ça qui se fait pas. Alors les projets et les préparatifs pour le mariage, c’est nous que ça regarde.
    — Bien sûr. Quand donneras-tu ta réponse à Culum ?
    — Bientôt, dit Brock en se levant. Allons rejoindre les dames.
    — Quand, Tyler ?
    — Allons, s’emporta Gorth. Vous avez entendu Pa ! Pourquoi le presser, hein ? »
    Mais Struan fit la sourde oreille, et continua de regarder Tyler.
    Culum craignit une grave dispute, ce qui ferait peut-être changer d’idée à Brock, et refuser son consentement. D’un autre côté, il voulait savoir combien de temps il devait attendre, et il était content que son père poussât Brock dans ses retranchements.
    « Je t’en prie, dit-il. Je suis sûr que M. Brock ne… qu’il réfléchira soigneusement. Laissons cela pour le moment.
    — Ce que tu penses te regarde, Culum ! cria Struan en feignant la colère. Mais moi, je veux savoir, tout de suite. Je veux savoir si on se sert de toi ou s’il y a là un jeu de chat et de souris, nom de dieu !
    — C’est affreux de dire ça, protesta Culum.
    — Sûr. Mais j’en ai fini avec toi pour le moment, alors tiens ta langue ! Tyler ! Combien de temps ?
    — Une semaine. Une semaine, ni plus ni moins, répondit Brock et il se tourna vers Culum, affectueusement : Y a pas de mal à demander un peu de temps, petit, et pas de mal à exiger une réponse d’homme à homme. C’est dans les règles. Une semaine, Dirk. Est-ce que ça satisfait tes sales foutues mauvaises manières ?
    — Sûr. Merci, Tyler. »
    Struan se dirigea vers la porte et l’ouvrit.
    « Après toi, Dirk. »
    À l’abri, dans la sécurité de ses appartements à bord du Resting Cloud , Struan raconta la soirée à May-may. Elle l’écouta attentivement, et battit des mains.
    « Oh ! parfait, Taï-pan. Oh ! très parfait ! »
    Il ôta sa redingote et, comme elle allait la lui accrocher dans la penderie, un rouleau de parchemin glissa de la large manche de sa tunique. Struan