Taï-pan
ça représente pour un pauvre homme. »
Struan regarda autour de lui. Shevaun se détournait ostensiblement. Puis il remarqua Glessing qui passait.
« Capitaine ! »
En reconnaissant le peintre, Glessing ouvrit des yeux ronds.
« Ah ! par exemple ! Diable ! Je vous croyais en haute mer !
— Rendez-moi service, voulez-vous ? lui dit rapidement Struan. Mrs. Quance est près du poteau. Voulez-vous veiller sur Aristote et faire en sorte qu’elle ne le voie pas ? Mieux encore, emmenez-le là-bas, avec les Chinois. Qu’il regarde la première course et puis vous l’accompagnerez chez lui.
— Certainement. Grands Dieux, Aristote, je suis content de vous voir, dit Glessing, puis il se tourna vers Struan : Avez-vous eu des nouvelles de Culum ? Je suis mortellement inquiet au sujet de Miss Sinclair.
— Non. Mais j’ai dit à Culum d’aller la voir dès son arrivée. Nous devrions recevoir un mot d’un moment à l’autre. Je suis certain qu’elle va bien.
— Je l’espère. Ah ! où dois-je conduire Aristote après la course ?
— Chez Mrs. Fotheringill.
— Dieu de Dieu ! Comment est-ce, Aristote ? » demanda Glessing, dévoré de curiosité.
Quance lui prit le bras.
« Terrible, mon garçon, terrible. Impossible de dormir et la cuisine est abominable. Taï-pan, pouvez-vous me prêter quelques guinées ? »
Struan grogna et s’éloigna pour rejoindre Shevaun.
« Un de vos amis, Taï-pan ?
— Ce n’est pas diplomatique de remarquer certains amis, Shevaun. »
Elle lui donna en riant un petit coup d’éventail.
« Inutile de me rappeler la diplomatie, vous le savez bien. Vous m’avez manqué, Dirk.
— Oui… »
Il se dit que ce serait facile, et sage, d’épouser Shevaun. Mais impossible. À cause de May-may.
« Pourquoi avez-vous voulu vous faire peindre nue ? demanda-t-il brusquement, et il comprit à l’éclair de son regard qu’il avait deviné juste.
— Aristote vous a dit ça ? dit-elle sans s’émouvoir.
— Dieu, non ! Il ne ferait jamais ça. Mais il y a quelques mois, il nous a taquinés. Il parlait d’une certaine commande de nu. Pourquoi ? »
Elle rougit, s’éventa et se mit à rire.
« Goya a peint la duchesse d’Albe. Deux fois, je crois. Elle est devenue la coqueluche du monde entier.
— Vous êtes une diablesse, Shevaun, dit-il, ses yeux pétillant d’amusement. Lui avez-vous vraiment permis de… de voir le sujet ?
— Licence poétique de sa part. Nous avons envisagé deux portraits. Vous n’approuvez pas ?
— Je pense que votre oncle, et votre père sauteraient au plafond s’ils en entendaient parler, ou si les portraits tombaient en de mauvaises mains.
— Les achèteriez-vous, Taï-pan ?
— Pour les cacher ?
— Pour les admirer.
— Vous êtes une fille étrange, Shevaun.
— Je méprise peut-être simplement l’hypocrisie… Tout comme vous.
— Sûr. Mais vous êtes fille dans un monde d’hommes, et il est des choses que vous ne pouvez faire.
— Il est des choses que je voudrais bien faire, moi ! »
Des cris s’élevèrent. Les chevaux défilaient. Shevaun prit brusquement une décision.
« Je crois que je vais quitter l’Asie. Dans deux mois.
— Vous dites cela comme une menace.
— Non, Taï-pan. Mais je suis amoureuse – et amoureuse de la vie, aussi. Et je suis d’accord avec vous. Le bon moment, pour choisir le gagnant, c’est au poteau du départ. »
Elle s’éventa nerveusement, en priant que son coup de dés justifiât le risque.
« Qu’avez-vous choisi ? » demanda-t-elle.
Sans regarder les chevaux, il répondit doucement :
« La poulilche, Shevaun.
— Comment s’appelle-t-elle ?
— May-may », murmura-t-il.
L’éventail hésita puis se remit à voleter.
« Une course n’est pas perdue tant que les juges n’ont pas désigné le vainqueur. »
Elle sourit et s’éloigna, la tête haute, plus belle qu’elle ne l’avait jamais été.
La pouliche fut battue. D’une demi-tête. Mais battue quand même.
« Déjà de retour, Taï-pan ? souffla May-may.
— Sûr. J’étais las des courses, et je me faisais du souci pour toi.
— Est-ce que j’ai gagné ? »
Il hocha la tête. Elle sourit et soupira.
« Enfin… Tant pis, ça ne fait rien. »
Elle avait les yeux rouges, et le teint plombé.
« Le docteur est venu ? demanda Struan.
— Pas encore. »
May-may se tourna sur le côté, mais cela ne la soulagea
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