Taï-pan
la fièvre. Et encore une fois.
— La malaria ? La fièvre de la Vallée Heureuse ? »
Gordon se retourna pour poser la question.
« Il dit que oui.
— Tout le monde sait que ce sont les gaz de la nuit ! Pas du poison par la peau, bon Dieu ! Ça fait quinze jours qu’elle en est partie !
— Je répète seulement ce qu’il dit, Taï-pan. Je ne suis pas médecin. Mais je ferais confiance à celui-là – je crois que vous devez avoir confiance en lui.
— Quel est son remède ? »
Gordon interrogea le vieux Chinois.
« Il dit, Taï-pan, il dit ceci : “J’ai soigné certains qui ont souffert du poison de la Vallée Heureuse. Ceux qui ont guéri étaient des hommes forts qui ont pris un certain remède avant la troisième crise de fièvre. Mais cette malade est une femme, et bien qu’elle ait vingt et un ans et un esprit de feu, ses forces vont à l’enfant qui depuis quatre mois est dans son sein…” Il craint, murmura Gordon, pour la Dame et pour l’enfant.
— Dis-lui d’aller chercher son remède et de la soigner maintenant. Pas après une crise !
— Voilà l’ennui. Il ne peut pas, monsieur. Il ne lui reste plus de remède.
— Bon dieu, dis-lui d’aller en chercher !
— Il n’y en pas à Hong Kong, Taï-pan. Il en est sûr. »
La figure de Struan s’assombrit de colère.
« Il doit y en avoir. Dis-lui de s’en procurer, à n’importe quel prix !
— Mais, Taï-pan, il…
— Sangdieu ! Dis-le-lui ! »
De nouveau, ce fut un échange de paroles incompréhensibles pour Struan.
« Il dit qu’il n’y en a pas à Hong Kong. Qu’il n’y en aura pas à Macao, ni à Canton. Que le remède est fait de l’écorce d’un arbre très rare qui pousse quelque part dans les mers du Sud, ou dans les pays au-delà des mers. La petite quantité qu’il tenait de son père, qui était médecin aussi, lequel le tenait de son père, est épuisée. Il dit qu’il est absolument sûr qu’il n’y en a plus.
— Vingt mille taels d’argent si elle guérit ! »
Gordon ouvrit de grands yeux. Il réfléchit un instant, puis il parla au médecin. Ils s’inclinèrent tous deux et sortirent en hâte.
En s’épongeant le front, Struan retourna dans la chambre.
« Heya, Taï-pan, murmura May-may. Qu’est-ce que c’est mon joss ?
— Ils sont allés chercher un remède spécial qui te guérira. Tu n’as pas à t’inquiéter. »
Il l’installa du mieux qu’il put, resta un moment à son chevet, le cœur troublé, puis il se fit conduire au navire-amiral et consulta le médecin de la marine au sujet de cette écorce.
« Navré, mon cher Struan, mais c’est un conte de bonne femme. Il y a une légende, qui raconte que la comtesse Cinchon, femme d’un vice-roi espagnol du Pérou, a introduit en Europe, au XVII E siècle, l’écorce d’un arbre d’Amérique du Sud. On l’appelait l’écorce des Jésuites, et parfois l’écorce cinchona . Réduite en poudre et prise avec de l’eau, il paraît qu’elle guérit la fièvre. Mais quand on l’a essayée aux Indes, ce fut un échec complet. Aucune valeur. Ces foutus papistes diraient n’importe quoi pour convertir les gens !
— Où diable puis-je m’en procurer ?
— Je n’en sais vraiment rien, mon bon ami. Au Pérou, je suppose. Mais pourquoi cette anxiété ? Queen’s Town a été abandonnée. Inutile de vous inquiéter si vous ne respirez pas les miasmes de la nuit.
— Un de mes amis vient de tomber malade de la malaria.
— Ah ! Purge héroïque au calomel ! Dès que possible. Je ne peux rien promettre, bien sûr. Nous lui mettrons tout de suite des sangsues. »
Struan alla ensuite consulter le médecin-chef de l’armée, puis les moindres praticiens, militaires et civils, et tous lui dirent la même chose.
Struan se rappela alors que Wilf Tillman était vivant. Il se fit conduire en toute hâte à bord du coureur d’opium de Cooper-Tillman.
Et pendant que Struan interrogeait tous les médecins possibles, Gordon Chen était retourné à Tai Ping Shan et avait convoqué les dix chefs triades qu’il avait sous ses ordres. Ensuite, chacun était retourné à son quartier général et avait fait venir ses dix sous-chefs. Avec une rapidité incroyable, l’ordre courut d’avoir à trouver l’écorce d’un certain arbre. Par sampan, par jonque, l’ordre fut transmis de l’autre côté de la rade, à Kowloon, et vola, de là, aux hameaux, aux villages et aux villes, le
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