Taï-pan
Culum et de Gorth. Il savait qu’il devrait aller immédiatement à Macao. Mais pas avant que May-may soit guérie… Mon Dieu, faites qu’elle guérisse. Est-ce que j’envoie le China Cloud et Orlov… peut-être Mauss ? Ou dois-je attendre ? J’ai dit à Culum de prendre garde, mais le fera-t-il ? Mon Dieu, Jésus, aidez May-may !
À minuit, on frappa à la porte.
« Oui ? »
Lim Din entra sans bruit. Il jeta un coup d’œil à May-may et soupira, puis il annonça :
« Grand Gros Massi vient Taï-pan voir, peux ? Heya ? »
D’un pas lourd, les épaules et la nuque douloureuses, Struan monta à sa cabine, au pont supérieur. Morley Skinner extirpa sa masse suante d’un fauteuil.
« Désolé de venir comme ça à l’improviste et si tard, Taï-pan. C’est assez important.
— Toujours enchanté de recevoir la presse, monsieur Skinner. Asseyez-vous, je vous prie. Vous buvez quelque chose ? »
Struan s’efforça de chasser May-may de son esprit, de concentrer sa pensée sur l’immédiat, car il savait que ce n’était pas là une simple visite de bon voisinage.
« Merci. Du whisky, volontiers. »
Skinner examinait la luxueuse cabine, les tapis de Chine verts sur le plancher bien ciré, les fauteuils et les canapés, humait la bonne odeur de cuir bien entretenu, de chanvre et de sel, et le parfum douceâtre, presque imperceptible, montant des cales à opium. Des lampes aux mèches bien mouchées diffusaient une lumière franche et faisaient danser des ombres entre les barrots du plafond. Quel contraste avec son taudis de Hong Kong, une misérable chambre nauséabonde et sale, au-dessus de la grande salle d’imprimerie !
« C’est aimable à vous de me recevoir si tard », dit-il.
Struan leva son verre.
« Santé !
— Oui. Santé, c’est le toast qui convient en ces temps de misère. Avec la malaria et tout… Il paraît que vous avez un ami qui a la malaria, dit-il.
— Savez-vous où je pourrais me procurer du cinchona ? »
Skinner hocha la tête.
« Non, Taï-pan. Tout ce que j’ai lu là-dessus affirme que c’est une légende. »
Il tira de sa poche une morasse de la prochaine édition de son hebdomadaire, l’ Oriental Times , et la tendit à Struan.
« J’ai pensé que ça vous amuserait de voir l’éditorial sur les courses d’aujourd’hui. Je fais une édition spéciale demain.
— Merci. C’était pour ça que vous vouliez me voir ?
— Non, monsieur. »
Skinner avala goulûment son whisky et contempla son verre vide.
« Servez-vous, je vous en prie.
— Merci, Taï-pan. »
Skinner se déplaça lourdement pour aller prendre la carafe sur la desserte.
« Ah ! j’aimerais avoir votre silhouette, monsieur Struan.
— Ne mangez pas tant, alors. »
Skinner se mit à rire.
« Manger n’a rien à voir. On est gros ou on ne l’est pas. C’est une de ces choses que le bon Dieu arrête à la naissance. J’ai toujours été fort. »
Il remplit son verre, retourna s’asseoir et dit :
« Il m’est venu aux oreilles un petit renseignement, hier soir. Je ne puis en révéler la source, mais j’aimerais vous en parler avant de le publier. »
Quel squelette as-tu donc découvert, mon bon ami ? se demanda Struan. Il y a tant de charognes à choisir ! J’espère que c’est ce que je crois.
« Je suis propriétaire de l’ Oriental Times , oui. Autant que je sache, nous sommes les seuls à le savoir. Mais je ne vous ai jamais dit ce qu’il fallait publier ou cacher. Vous êtes directeur et rédacteur en chef. Vous êtes entièrement responsable et si ce que vous publiez est diffamatoire, on portera plainte et on vous fera un procès. Quiconque sera diffamé.
— Oui, monsieur Struan. Et je vous suis reconnaissant de la liberté que vous me laissez. La liberté suppose des responsabilités – envers soi-même, le journal, la société. Pas forcément dans cet ordre-là. Mais ceci est autre chose. Les – comment dirais-je ? – les implications vont loin. »
Il tira un bout de papier couvert d’espèces de hiéroglyphes griffonnés qu’il était le seul à pouvoir lire, puis il leva les yeux.
« Le traité de Chuenpi a été dénoncé par la Couronne, et Hong Kong avec.
— Est-ce que c’est une plaisanterie, monsieur Skinner ? »
Struan se demandait à quel point Blore avait été convaincant. Est-ce que tu as misé sur le bon cheval, mon gars ? se demanda-t-il. Le gamin a un joli sens de
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