Taï-pan
Struan avait les moyens de se faire servir. Il portait une tunique bien blanche, un pantalon noir et des sandales de corde.
« Hallo-ah, Taï-pan. Bain prêt, tidéjeuner prêt, habits tout prêts, pourquoi quoi donc Taï-pan veut, heya ? Ça ne fait rien.
— Heya, Lo Chum. »
Struan ne cessait jamais de s’émerveiller de l’incroyable rapidité par laquelle les nouvelles se transmettaient. Il savait que s’il avait sauté à terre, couru à perdre haleine sur la jetée et s’était rendu directement chez lui, la porte lui aurait été ouverte de la même façon et Lo Chum aurait été là comme il l’était à présent.
« Bain, habits peux, dit-il.
— Compradore Chen Sheng venir parti. Dis reviens neuf heures, peut. Peut ?
— Peut », soupira Struan.
Lo Chum ferma la porte et trottina devant Struan dans l’escalier de marbre. Il ouvrit la porte de la chambre du maître. La grande baignoire sabot en fer-blanc était pleine d’eau chaude fumante, comme toujours, un verre de lait était posé sur une petite table à côté, comme toujours, ses affaires de toilette étaient préparées, une chemise propre et un habit disposés sur le lit – comme toujours. C’est bon de se retrouver chez soi, pensa Struan.
« Taï-pan veux cow chillo bain avec, heya ? »
Un hennissement de rire.
« Ayee yah ! Lo Chum. Toujours parler cow chillo jig-jig au bain quoi, ça ne fait rien. Réveiller Massi Culum, dire ici peut !
— Massi Culum pas là dormir.
— Où aller Massi Culum, heya ? »
Lo Chum ramassa les vêtements dont Struan venait de se dépouiller et haussa les épaules.
« Dehors la nuit, toute, Massi. »
Struan fronça les sourcils.
« Tout pareil, les nuits toutes, heya ? »
Lo Chum hocha la tête.
« Non, Massi. Une, deux nuits dormir ici. »
Il sortit en hâte.
Struan se plongea dans son bain, troublé par ce rapport sur les absences de Culum. Bon Dieu, j’espère que le galopin a suffisamment de bon sens pour ne pas aller au quartier chinois !
À neuf heures précises, une luxueuse chaise à porteurs s’arrêta devant le bâtiment. Chen Sheng, compradore de la Noble Maison, en descendit pesamment. Il portait une robe cramoisie, un chapeau orné de pierreries et il avait grande conscience de sa majesté.
Il gravit dignement les marches et la porte lui fut ouverte par Lo Chum en personne, comme toujours. Cela donnait beaucoup de face à Chen Sheng, car Lo Chum n’ouvrait la porte lui-même qu’au Taï-pan et à lui.
« Il m’attend ? demanda-t-il en cantonais.
— Naturellement, Excellence. Je suis désolé d’avoir pris rendez-vous pour vous de si bonne heure, mais j’ai pensé que vous voudriez être le premier.
— Il paraît qu’il a quitté Hong Kong en toute hâte. Sais-tu ce qui se passe ?
— Il est allé tout droit au Taï-pan des longues jupes et…
— Je sais, je sais, grommela impatiemment Chen Sheng, qui se demandait bien ce que Struan était allé faire à l’évêché. Je ne sais vraiment pas pourquoi je suis aussi tolérant avec toi, Lo Chum, ni pourquoi je continue à te payer tous les mois pour me tenir au courant en ces temps très troublés. Je savais que le navire était dans la rade avant d’avoir reçu ton message. Ce manque d’intérêt pour les affaires est déplorable.
— Excellence, je suis abjectement navré. Naturellement, le Taï-pan a amené sa concubine sur son navire.
— Ah !
Bon, très bon, pensa-t-il. Je serai content de lui rendre les enfants et de me décharger de cette responsabilité.
« C’est un peu mieux, ça, encore que d’autres me l’auraient dit avant une heure. Quelles autres perles d’information as-tu qui méritent les fortunes que je te paie ?
Lo Chum leva les yeux au ciel.
« Que pourrais-je savoir, moi misérable esclave, que ne sait pas un haut mandarin tel que vous, Excellence ? Les temps sont durs, soupira-t-il. Ma femme me harcèle et réclame de l’argent et mes fils gaspillent les taels au jeu comme si l’argent pur poussait dans les rizières. Désolant. C’est seulement en connaissant à l’avance les choses de grande importance que l’on peut se prémunir contre le mauvais sort. C’est affreux de penser que ces choses pourraient tomber en de mauvaises oreilles. »
Chen Sheng croisa les mains sur son ventre, certain maintenant que Lo Chum avait des renseignements de grand intérêt.
« Je suis entièrement d’accord. En des temps aussi difficiles
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