Taï-pan
résonnèrent sur les dalles de la cour d’honneur et il gravit les marches du perron. Il tira la sonnette, l’entendit se répercuter à l’intérieur et sonna encore, et encore, avec insistance.
Enfin, une lumière clignotante apparut à une fenêtre du rez-de-chaussée, et Struan entendit un bruit de pas traînants, puis un torrent de portugais interrogatif. La lourde porte de chêne s’entrebâilla.
« Bom dia . Je veux voir Monseigneur. »
Le domestique mal réveillé et à demi vêtu regarda l’intrus sans comprendre, grommela quelques mots et voulut lui claquer la porte au nez. Struan avança sa botte, poussa la porte et entra dans le vestibule, puis dans la première pièce venue, une charmante bibliothèque aux murs tapissés de livres. Il alla s’asseoir dans un fauteuil de bois sculpté, et se tourna vers le domestique ahuri :
« L’évêque », dit-il.
Une demi-heure plus tard, Falarian Guineppa, évêque de Macao, entra majestueusement dans la pièce que Struan semblait avoir réquisitionnée. C’était un patricien de haute stature qui portait ses cinquante ans avec alacrité. Il avait le nez aquilin, le front haut, les traits burinés. Il était vêtu de la soutane et de la calotte violettes, et un crucifix d’améthyste pendait à sa ceinture. Ses yeux noirs, sous la paupière lourde, étaient hostiles. Mais quand ils reconnurent Struan, ils s’animèrent brusquement et les paupières se relevèrent. L’évêque s’arrêta sur le seuil, toutes les fibres de son être sur le qui-vive.
Struan se leva.
« Bonjour, monseigneur. Je m’excuse de m’imposer et d’arriver si tôt.
— Soyez le bienvenu au nom du Seigneur, senhor, dit aimablement l’évêque, en désignant un fauteuil. J’allais déjeuner. Voulez-vous vous joindre à moi ?
— Merci. »
L’évêque se tourna vers le domestique et lui donna quelques ordres en portugais. L’homme s’inclina et s’en fut. L’évêque s’approcha alors de la fenêtre, en jouant machinalement avec son crucifix, et contempla le lever du soleil sur la baie. Il vit le China Cloud et tous les petits sampans qui se pressaient autour du navire, tout en bas dans la rade. Quelle urgente nécessité, se demanda-t-il, amène devant moi le Taï-pan de la Noble Maison ? L’ennemi que je connais si bien et que pourtant je n’ai jamais vu.
« Je vous remercie de ce réveil, dit-il. Cette aurore est radieuse.
— Sûr. »
Chacun de ces hommes feignait une amabilité que ni l’un ni l’autre n’éprouvait.
Pour l’évêque, Struan était le représentant des protestants anglais fanatiques, matérialistes, diaboliques, qui avaient rompu avec la loi de Dieu et qui, pour leur éternelle damnation, avaient renié le pape comme les juifs avaient renié le Christ, l’homme qui était leur chef, celui qui, à lui seul ou presque, avait détruit Macao et, avec Macao, la domination des catholiques sur les païens d’Asie.
Pour Struan, l’évêque représentait tout ce qu’il méprisait chez les catholiques, le fanatisme dogmatique de ces hommes avides de puissance, froids, qui arrachaient leurs richesses des pauvres au nom d’un Dieu catholique, en leur suçant le sang goutte à goutte, et, avec ces gouttes de sang, érigeaient des cathédrales à la gloire de leur propre version de Dieu, de ces hommes qui avaient idolâtrement installé à Rome un homme, sous le nom de pape, et en avaient fait un infaillible arbitre.
Des serviteurs en livrée apportèrent des plateaux d’argent, du chocolat fumant, des croissants feuilletés, du beurre frais, et cette gelée de cumquat qui était la spécialité du monastère.
L’évêque récita le bénédicité et les phrases latines augmentèrent le malaise de Struan, mais il baissa la tête et ne dit rien.
Les deux hommes déjeunèrent en silence. Les cloches des multiples églises sonnaient matines et le sourd bourdonnement des litanies des moines dans la cathédrale voisine meublait le silence.
Après le chocolat, on leur servit du café, provenant du Brésil portugais, un café brûlant, parfumé, délicieux.
Sur un signe de l’évêque, un domestique ouvrit un coffret et présenta des cigares à Struan.
« Ils sont de La Havane, dit l’évêque. Après le petit-déjeuner, j’apprécie assez le cadeau qu’a fait Sir Walter Raleigh à l’humanité.
— Merci. »
Struan en prit un. Les valets offrirent du feu, puis le prélat les congédia.
L’évêque contempla un
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