Taï-pan

t’ont conduit dans une maison, qui n’était pas la succursale de Mrs. Fotheringill à Macao, où ils ont touché une commission plus importante pour un riche client, et leur part sur le vol par-dessus le marché. Là les filles t’ont drogué, t’ont volé et t’ont réexpédié. J’espère pour toi que c’est ça qui t’est arrivé. L’autre possibilité c’est qu’un de tes amis t’a fait boire un aphrodisiaque au club, s’est arrangé pour que la chaise à porteurs t’attende et t’a fait conduire dans cette maison-là.
    — C’est grotesque. Qui voudrait faire ça ? Pourquoi ? Pour cent guinées, une montre et une chevalière ? Un de mes amis ? C’est de la folie !
    — Mais supposons que quelqu’un te haïsse, Culum. Supposons que le plan était de te jeter dans les bras d’une fille malade. D’une fille vérolée.
    — Quoi !
    — Sûr. C’est ce que je crains. »
    Culum crut mourir.
    « Tu cherches à me faire peur !
    — Par le Seigneur Dieu, non, mon garçon. Mais c’est une possibilité très nette. Je dirais qu’elle est plus probable que l’autre parce qu’on t’a ramené.
    — Qui me ferait une chose pareille ?
    — Faudra trouver tout seul ta réponse à celle-là, petit. Mais même si c’est ça qui s’est passé, tout n’est pas perdu. Pas encore. J’ai envoyé chercher des remèdes chinois. Tu les prendras tous, tous, tu entends ?
    — Mais il n’y a pas de remède contre la vérole !
    — Sûr. Une fois que la maladie est bien installée. Mais les Chinois croient qu’on peut tuer le poison de la vérole ou ce qui la cause, si on prend immédiatement des précautions pour purifier le sang. Il y a bien des années, au début que j’étais ici, la même chose m’est arrivée. Aristote m’a trouvé dans un ruisseau du quartier chinois, il a fait venir un médecin chinois et je n’ai rien eu. C’est comme ça que j’ai fait sa connaissance, c’est pour ça qu’il est mon ami depuis si longtemps. Je ne peux pas affirmer que la maison – ou la fille –, était malade, mais tout ce que je sais, c’est que j’ai jamais eu la vérole.
    — Seigneur, ayez pitié de moi !
    — Sûr. Nous ne saurons rien avant une semaine. S’il n’y a pas d’enflure, ni de douleurs, ni d’écoulement à ce moment, alors tu y auras échappé pour cette fois. »
    Il vit la terreur dans les yeux de son fils, et son cœur se serra.
    « Une semaine d’enfer devant toi, petit, dit-il avec douceur. Faut attendre. Je sais ce que c’est, alors te fais pas de mauvais sang, je t’aiderai de mon mieux. Comme Aristote m’a aidé.
    — Je me tuerai. Je me tuerai si… Mon Dieu, comment ai-je pu être aussi fou ? Tess ! Dieu, je ferais mieux de lui dire…
    — Tu ne feras rien de tel ! Tu lui diras que tu as été attaqué par des voleurs en rentrant chez toi. Nous dirons ça à tout le monde, à tes amis. Que tu crois avoir un peu trop bu – après la fille. Que tu ne te souviens de rien, sauf que tu as rudement bien rigolé et que tu t’es réveillé ici. Et pendant cette semaine, tu te comporteras aussi normalement que possible.
    — Mais Tess ! Comment pourrais-je…
    — C’est ce que tu feras, petit ! Bon dieu, c’est ce que tu feras !
    — Je ne peux pas, Père, c’est imp…
    — Et sous aucun prétexte tu ne parleras des remèdes chinois. Ne va pas dans une de ces maisons avant d’être sûr, et ne touche pas Tess avant d’être marié.
    — Ah ! que j’ai honte !
    — Y a pas de quoi, mon gars. C’est difficile d’être jeune. Mais dans ce monde-ci, un homme doit veiller sur ses arrières. C’est pas les chiens enragés qui manquent autour de soi.
    — Tu dis que c’était Gorth ?
    — Je ne dis rien. Tu le crois ?
    — Non, bien sûr que non. Mais c’est ce que tu penses, n’est-ce pas ?
    — N’oublie pas, tu dois agir normalement, ou tu perdras Tess.
    — Pourquoi ?
    — Tu crois que Liza et Brock te laisseraient l’épouser s’ils découvraient que tu n’es qu’un gamin idiot, un petit morveux sans cervelle si bête qu’il s’en va courir les bordels de Macao ivre mort et se faire entôler dans un bordel inconnu après s’être laissé glisser un aphrodisiaque ? Si j’étais Brock, je dirais que t’as pas assez de bon sens pour être mon gendre !
    — Pardon…
    — Allez, repose-toi, petit. Je reviendrai plus tard. »
    Sur le chemin de la maison de May-may, Struan envisageait des moyens de