Taï-pan
à moins que la Russie ne soit rapidement éliminée, l’Amérique du Nord tout entière sera, d’ici un demi-siècle, entre ses mains.
« Deuxièmement, l’Angleterre doit conserver une domination absolue sur la Chine. Il est nécessaire de retracer les conquêtes russes au-delà de l’Oural et de voir la longue pénétration déjà effectuée dans des territoires placés sous le commandement historique relâché de l’empereur de Chine. »
Grâce à une suite de cartes, de dates et de lieux et à la traduction de traités, tout le panorama du mouvement russe vers l’est était explicite.
« Depuis trois siècles (depuis 1552) les armées moscovites s’étendent régulièrement vers l’est à la recherche d’une frontière définitive. Okhotsk, sur la mer d’Okhotsk – au nord de la Mandchourie, sur l’océan Pacifique – a été atteint en 1640. Ces armées ont aussitôt fait mouvement vers le sud et se sont heurtées pour la première fois aux hordes sino-mandchoues.
« En 1689, le traité de Nerchinsk, signé entre la Russie et la Chine, établissait la frontière septentrionale entre les deux pays le long de la rivière Argoun et des monts Stanovoi. L’ensemble de la Mandchourie sibérienne orientale était cédée à la Russie. Depuis, cette ligne a été la frontière « définitive » de la Russie au nord de la Chine.
« Vers cette époque (en 1690), un Russe nommé Zaterev fut envoyé par terre à Pékin, comme ambassadeur. En chemin, il chercha d’éventuelles voies d’invasion dans le cœur incroyablement riche de la Chine. La meilleure route qu’il trouva était le corridor naturel de la rivière Selenga, dans les plaines au nord de Pékin. La clef de cette route est la possession du Turkestan, de la Mongolie extérieure et de la province chinoise du Sinkiang.
« Et, comme en fait état le rapport du prince Tergine, leurs armées sont déjà maîtresses de l’Eurasie, du nord de la Mandchourie au Pacifique, et sont déjà installées sur les frontières du Turkestan, du Sinkiang et de la Mongolie extérieure. C’est par là que viendra l’investissement de la Chine proprement dite, et qu’il continuera de se faire pendant de longues années. »
Le rapport ajoutait :
« À moins que la Grande-Bretagne ne soutienne fermement que la Chine et l’Asie sont sa zone d’influence, les conseillers russes seront à Pékin au cours de la génération actuelle. Les armées russes maîtriseront facilement les routes d’accès faciles du Turkestan, de l’Afghanistan, du Cachemire, ouvrant sur les Indes britanniques, et tout l’Empire des Indes pourra être envahi et conquis.
« Si la Grande-Bretagne désire demeurer puissance mondiale, il est capital que la Chine devienne un rempart contre la Russie. Il est capital que l’avance russe soit arrêtée dans la région du Sinkiang. Il est capital qu’une forteresse britannique s’établisse en Chine, car la Chine, par elle-même, est impuissante. Si la Chine est autorisée à se scléroser dans ses anciennes habitudes et n’est pas aidée à prendre pied dans une ère moderne, elle sera facilement conquise par la Russie et l’équilibre de l’Asie sera détruit.
« En conclusion : Il est extrêmement regrettable que le Portugal ne soit pas assez fort pour tenir en échec la boulimie territoriale russe. Notre seul espoir est que notre ancienne alliée, la Grande-Bretagne, empêche par la force ou par sa seule puissance ce qui semble inévitable .
« C’est pour cette seule raison que nous avons illégalement établi ce dossier, sans aucune autorisation officielle ou officieuse. Le rapport du prince Tergine et les cartes ont été acquis à Saint-Pétersbourg et ont abouti entre des mains amies officieuses, au Portugal, et de là entre les nôtres.
« Nous avons demandé à Monseigneur – qui n’est au courant de rien de ce que renferme ce dossier – de bien vouloir placer ces documents entre les mains du Taï-pan de la Noble Maison, un homme qui, nous le pensons, veillera à leur faire atteindre leur bonne destination, afin que des mesures soient prises avant qu’il ne soit trop tard. Et pour donner la preuve de notre sincérité, nous avons signé de nos noms, en priant Dieu que nos carrières, et nos vies même, seront placées en des mains sûres. »
Le rapport portait la signature de deux Portugais subalternes experts en politique étrangère, que Struan connaissait un peu.
Il jeta dans le jardin le
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