Taï-pan
prix, nous devons encourager et soutenir les intérêts commerciaux britanniques et les pousser à s’installer dans les ports du continent chinois, où les Britanniques seraient soumis à une pression directe des Chinois qui, avec le temps, deviendrait un contrôle diplomatique. Et à n’importe quel prix, nous devons décourager l’Angleterre de fortifier et de coloniser l’île, quelle qu’elle soit – comme elle l’a fait pour Singapour, Malte, Chypre (ou un rocher imprenable comme Gibraltar) – qui ne pourrait être soumise à nos pressions et servirait de bastion permanent pour sa puissance navale et militaire. Il serait avantageux de créer dès maintenant d’étroits rapports commerciaux avec quelques maisons choisies dans cette zone.
« Le clef de voûte de notre politique étrangère doit être : “Que l’Angleterre règne sur mer et sur les routes commerciales, et qu’elle soit la première nation industrielle du monde. Mais que la Russie règne sur terre !” Car une fois la terre assurée – et notre droit sacré, notre apanage divin, est de civiliser la terre – les mers deviendront russes. Et, ainsi, le tsar de toutes les Russies régnera sur le monde. »
Sergueyev pourrait bien être une clef de ce plan, songea Struan. Est-il l’homme envoyé pour sonder notre puissance en Chine ? Pour établir « des rapports commerciaux étroits avec quelques maisons choisies » ? Sa mission est-elle de faire un rapport, de première main, sur l’attitude américaine en Alaska russe ? L’homme a-t-il été envoyé pour préparer l’Alaska russe aux hordes d’invasion ? Rappelle-toi qu’il t’a dit : « À nous la terre, à vous les mers ! »
Ce rapport était suivi d’un commentaire également hardi et pénétrant :
« En se fondant sur ce document secret et les cartes attenantes, dont la validité est incontestable, certaines conclusions d’une importance à long terme peuvent être tirées :
« Premièrement, en ce qui concerne la stratégie américaine : il faut noter que tout en étant gravement préoccupés par l’actuelle querelle de frontière entre les États-Unis et le Canada britannique, les États-Unis ne semblent pas désirer acquérir de nouveaux territoires sur le continent nord-américain. Et par suite des relations amicales existant entre les États-Unis et la Russie – relations soigneusement cultivées, il faut le dire – l’actuel sentiment politique, à Washington, est que la présence de la Russie en Alaska et plus au sud le long de la côte occidentale ne menace pas leur souveraineté. En bref, les États-Unis d’Amérique n’invoqueront pas la Doctrine Monroe contre la Russie et sont prêts en conséquence – chose ahurissante – à laisser leur porte de derrière ouverte à une puissance étrangère, contrairement à leur évident intérêt. Contrairement, c’est certain, aux intérêts du Canada britannique. Si cinq cent mille hommes appartenant aux tribus euro-asiatiques devaient être discrètement introduits dans le nord, comme la chose est possible, les Anglais et les Américains se trouveraient certainement dans une situation des plus précaires.
« On doit noter, de plus, que bien que le tsar actuel méprise la Russie d’Amérique, ce territoire est véritablement une clef russe du continent. Et s’il devait y avoir une guerre civile aux États-Unis au sujet de la gestion esclavagiste, comme cela semble inévitable, ces tribus russes seraient en mesure d’influer sur ce conflit, ce qui ne manquerait pas d’entraîner dans la guerre la France et l’Angleterre. Des hordes nomades russes, avec des voies de communication rapides par le détroit de Béring et la faculté primitive de vivre des ressources de la terre, auraient un avantage très net. Et comme la plus grande étendue des terres occidentales et du sud-ouest sont très peu peuplées, ces colons – ou “guerriers” – pourraient sans peine envahir le sud.
« Ainsi, si la Grande-Bretagne désire maintenir son hégémonie et contrecarrer le désir exacerbé de la Russie de dominer le monde, elle devra d’abord éliminer la menace que présente l’Alaska russe pour le Canada et les États-Unis affaiblis. Elle devra persuader les États-Unis, par tous les moyens en son pouvoir, d’invoquer la Doctrine Monroe pour pallier la menace russe. Ou bien elle devra exercer des pressions diplomatiques et acheter ce territoire ou s’en emparer par la force. Car
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