Taï-pan
du tout mangé de la journée.
— Merci, petite, mais je n’ai pas faim. Je me ferai servir quelque chose à la résidence, tout à l’heure.
— Je t’en prie, mange ici. Reste ici cette nuit. Je t’en prie. Je ne veux pas… enfin, reste ! J’en serais très heureuse.
— Bien sûr, fillette. Il faut que tu prennes encore le cinchona pendant quatre jours. Trois fois par jour.
— Mais, Taï-pan, je me sens gracieusement bien. Je t’en supplie, fini !
— Trois fois par jour, May-may. Pendant encore quatre jours.
— Sangdieu ! On croirait boire des fientes d’oiseaux diluées dans du vinaigre et de la bile de serpent ! »
On apporta dans la chambre une table dressée. Yin-hsi fit le service, puis les laissa seuls. May-may choisit délicatement des langoustines frites.
« Qu’est-ce que tu as fait aujourd’hui ? demanda-t-elle.
— Rien d’important. Mais un problème est résolu. Gorth est mort.
— Ah ? Comment ? s’exclama May-may, surprise et choquée comme il convenait. Tu es très malin, Taï-pan. Mais ton joss est fantastical. »
Struan repoussa son assiette, étouffa un bâillement et songea au joss en général.
« Sûr.
— Est-ce que Brock va être terrible furieux ?
— La mort de Gorth n’est pas sur mes mains. Et même si son sang y était, il méritait de mourir. D’un côté, je regrette qu’il soit mort comme ça. »
La mort de Gorth et l’enlèvement vont rendre Brock complètement fou. Je ferais bien de me tenir prêt, avec le couteau et le pistolet. Est-ce qu’il viendra m’attaquer comme un assassin dans la nuit ? Ou bien ouvertement ? Bah, je m’inquiéterai demain.
« Culum devrait bientôt rentrer, dit-il.
— Pourquoi tu ne te couches pas ? Tu as l’air très fatigué. Quand Lo Chum apportera la nouvelle, Ah Sam te réveillera, heya ? Je crois que je vais dormir un peu maintenant.
— Je crois que je vais y aller aussi, fillette. »
Struan se pencha, l’embrassa tendrement, puis il la serra dans ses bras.
« Ah ! fillette, fillette, j’ai eu bien peur !
— Merci, Taï-pan. Va dormir, maintenant et demain j’irai encore bien mieux, et toi aussi.
— Il faut que j’aille à Hong Kong, petite. Dès que possible. Pour quelques jours. »
Le cœur de May-may se serra.
« Quand tu pars, Taï-pan ?
— Demain, si tu vas bien.
— Tu veux faire quelque chose pour moi, Taï-pan ?
— Bien sûr.
— Emmène-moi. Je ne veux pas… je ne veux pas rester seule ici quand tu n’es pas là.
— Tu n’es pas assez vaillante pour bouger, fillette, et moi je dois partir.
— Oh ! mais demain je serai tout à fait bien, je te le promets. Je resterai au lit sur le bateau et nous pourrons habiter Resting Cloud , comme avant. Je t’en supplie.
— Ce ne sera que pour quelques jours, petite, et tu es vraiment mieux ici. Vraiment. »
May-may se pelotonna contre lui, et insista tendrement :
« S’il te plaît. Je serai très sage et je boirai le cinchona sans rien dire et je resterai au lit et je guérirai et je mangerai, plein, plein, plein et je serai fantasticalement sage. Je promets. Je t’en supplie, ne me quitte pas avant que j’aille mieux !
— Bon, bon. On verra. Et nous ne partirons pas demain. Après-demain, à l’aube. Si tu te sens tout à fait bien. Si tu…
— Ah ! merci, Taï-pan ! J’irai très bien. »
Il la serra très fort, puis la tint à bout de bras et l’examina attentivement. Il savait qu’il lui faudrait des mois pour retrouver sa fraîche beauté. Mais ce n’est pas une figure qui fait la beauté d’une personne, se dit-il. C’est ce qu’il y a en dessous, dans le cœur et dans les yeux.
« Ah ! fillette ! Tu es belle. Je t’aime. »
Elle lui noua les bras autour du cou et soupira :
« Pour quoi faire tu dis ça à ta vieille mère ? Toi, je te trouve fantasticalement joli ! »
Il lui fit boire ses deux tasses de cinchona ; elle se pinça le nez et les but sans protester, puis elle mâchonna quelques feuilles odorantes pour chasser l’abominable goût. Il la borda comme un bébé, l’embrassa une dernière fois et alla dans sa propre chambre.
Nu entre les draps délicieusement frais, il s’endormit presque aussitôt.
Et pendant que Struan dormait, l’assassin chinois continuait d’être questionné avec beaucoup de raffinement. Ses bourreaux étaient très patients, et très habiles dans l’art de soutirer des aveux et des
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