Taï-pan
par-dessus le marché.
« Lord Cunnington, qui n’est jamais allé plus à l’est que Suez, se prononce comme un expert sur la valeur de Hong Kong. Il est plus que probable qu’il ne sait pas si Hong Kong est à l’ouest de Pékin, au nord ou au sud de Macao. Comment ose-t-il laisser supposer que l’amiral de notre glorieuse flotte est un sac de vent et ne connaît rien à la mer et qu’il est incapable de comprendre la valeur historique de la plus vaste rade d’Asie ? Où serions-nous sans la Royal Navy ? Où, sans l’armée, qui est également méprisée – non, insultée – par la stupide interférence dans nos affaires ? Sans Hong Kong, où les soldats trouveront-ils un havre et nos navires un sanctuaire ? Comment cet homme, qui est depuis bien trop longtemps au gouvernement, ose-t-il prétendre que la longue expérience de tous les marchands sans exception qui tous ont à juste titre investi leur avenir et leur fortune à Hong Kong, ne compte pas et qu’ils sont des imbéciles ? Comment ose-t-il faire entendre que ceux qui ont donné leur vie en Chine pour la gloire de l’Angleterre ne connaissent rien aux affaires de Chine ni de l’immense valeur d’un port franc, centre commercial et forteresse dans une île… »
L’article évaluait l’île et décrivait comment, à grands frais et à leurs propres risques, les marchands avaient construit dans la Vallée Heureuse et, lorsqu’elle avait dû être abandonnée, s’étaient remis au travail avec acharnement pour construire une nouvelle ville, à la gloire de la Couronne. C’était un chef-d’œuvre de manipulation des nouvelles.
Struan dissimula son ravissement. Il savait que si lui-même qui avait soufflé l’histoire – pouvait être ému par un tel éditorial, les autres seraient emportés !
« Par exemple ! Je suis profondément choqué. Qu’il ait osé… ! Ce Cunnington devrait être mis en accusation !
— Mon avis, absolument, s’exclama Longstaff. Eh bien, voilà. Maintenant, je suis saqué. Tout le travail et le souci et l’angoisse et les discussions et les batailles, tout cela à vau-l’eau par la faute de ce fou furieux stupide et mégalomane qui se croit le maître du monde !
— Du diable s’il s’en tirera comme ça, Will ! Nous devons faire quelque chose ! Ah ! non, ça ne se passera pas comme ça !
— Mais ça s’est passé, nom de Dieu ! »
Longstaff vida son verre de porto, le plaqua rageusement sur la table et se mit à marcher de long en large, les mains derrière le dos. Struan avait presque pitié de lui.
« Qu’est-ce qui va se passer, quoi ? Ma carrière est fichue, fichue. Nous sommes tous ruinés !
— Qu’avez-vous fait à ce sujet, Will ?
— Rien, grommela Longstaff en s’arrêtant devant sa fenêtre. Cette maudite île est la cause de tout. Un fichu récif d’enfer, qui m’a démoli. Qui nous détruit tous ! Hier, dit-il plus calmement, en se retournant, il y a eu presque une émeute. Des marchands sont venus ici en députation pour me demander de refuser de partir. Une autre députation est arrivée sous les ordres de Brock, exigeant que je quitte immédiatement l’Asie avec la flotte pour aller me présenter à Londres et réclamer la mise en accusation de Cunnington et, s’il le faut, faire le blocus du port de Londres !… Enfin, c’est ma faute. J’aurais dû suivre mes instructions à la lettre. Mais ça n’aurait pas été juste. Je ne suis pas un conquérant avide de puissance et de terres. Ah ! vérole de Dieu, tiens ! »
Il se jeta dans un fauteuil, regarda Struan, et lui dit, plus calmement :
« L’amiral et le général sont enchantés, naturellement. Vous buvez quelque chose ?
— Merci. Tout n’est pas perdu, Will, répondit Struan en allant se verser un cognac. Au contraire. Une fois à Londres, vous pourrez mettre votre influence au travail.
— Hein ?
— Ce que vous avez fait ici est très bien. Vous pourrez en convaincre Cunnington. S’il est encore en poste. Face à face, votre position est très forte. Vous avez le droit pour vous. Absolument.
— Avez-vous déjà rencontré Cunnington ? demanda amèrement Longstaff. On ne discute pas avec ce monstre.
— Exact. Mais j’ai quelques amis. Supposons que vous ayez une clef pour prouver que vous avez raison et qu’il a eu tort ? »
Les yeux de Longstaff s’allumèrent. Si Struan n’était pas affolé par la terrible nouvelle, alors tout n’était pas
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