Talleyrand, les beautés du diable
six ou sept ans, ils se montrèrent accommodants. Son premier mariage conclu le 9 juillet de 1777 dans le delta du Gange se trouva bientôt annulé.
Mais pour l’abandon de la soutane, ce fut une autre paire de manches.
Comme on se trouvait en pleine période de négociations du Concordat avec Rome, Bonaparte, toujours expéditif, fit rédiger un article « faisant rentrer dans la classe des simples citoyens les ecclésiastiques ayant notoirement renoncé à leur état ».
Au Vatican, on ne l’entendit pas de cette oreille.
— Ni un évêque ni quiconque qui est lié par des voeux solennels ne peut jouir de l’indulgence apostolique.
Et quand le Concordat, qui reconnaissait « le catholicisme comme la religion professée par la majorité des Français », fut signé le 26 messidor de l’an IX (15 juillet 1801), la question des prêtres ayant autrefois prêté serment à la constitution civile du clergé n’était pas résolue le moins du monde. Si Talleyrand s’était attendu à trouver un codicille bienveillant de Pie VII, il se retrouva Gros-Jean comme devant.
Et il tapa de la crosse !
— Nous nous résignons à accorder l’absolution sacramentelle, celle des censures et de l’excommunication, fit savoir le Saint-Siège dans un geste de conciliation.
Mais qu’en avait-il affaire d’être absous ! Ce qui lui importait uniquement, c’était d’être délié de ses voeux et de pouvoir jeter ses habits sacerdotaux par-dessus les moulins, ou mieux, aux orties !
D’ailleurs, il n’en possédait plus depuis qu’ils avaient été vendus à la criée.
Ou alors si peu.
Et ils étaient sans doute fort mités.
Pie VII ne mollit pas. Son siège était fait. Il en informa Bonaparte en personne :
— En dix-huit siècles, il n’y a pas d’exemple d’une dispense qui aurait été accordée à un évêque consacré pour qu’il se marie.
Puis, le 9 juin de 1802, Sa Sainteté s’adressa à Talleyrand en ces termes :
— Nous vous accordons le pouvoir de porter l’habit séculier et celui de gérer toutes les affaires civiles, soit qu’il vous plaise de demeurer dans la charge que vous occupez maintenant, soit que vous passiez à d’autres auxquelles votre gouvernement vous appellera.
Charles Maurice imagina alors que le Conseil d’État pouvait faire ses choux gras de ce bref papal. Ne suffisait-il pas qu’il fût interprété ?
Il le fut.
Le 19 août suivant, le Moniteur de Panckoucke, le quasi- Journal officiel du temps, annonçait que Saint-Pierre de Rome rendait le citoyen Maurice Talleyrand, ministre des Relations extérieures, à la vie séculière et laïque.
Ainsi donc, plus rien ne s’opposait à ce qu’un monseigneur épousât une belle Indienne.
Et en se moquant bien de Pie VII qui allait se retrouver « le coeur gémissant » après s’être « dilaté les entrailles de sa charité paternelle » (sic) .
Alors maintenant, au diable le célibat des prêtres, que la fête commence !
Auparavant, l’habile et méfiant homme avait tout de même tenu à s’assurer que monsieur Grand ne viendrait pas perturber la cérémonie. Il n’avait aucun souci à se faire du côté du pape. Il était à Rome et pour l’instant il n’en bougeait pas. Mais l’ex-mari de Calcutta ? Si la mouche le piquait ? Si l’envie le prenait de venir faire un peu de scandale ?
Aussi s’était-il employé à lui trouver un poste de conseiller lambda, sur le compte du ministère des Affaires étrangères de la République batave, au cap de Bonne-Espérance.
Il aurait difficilement pu l’expédier plus loin !
Mais quelques jours avant la noce, il avait appris à son grand désarroi que, malgré le traitement mirifique qui lui avait été proposé, le premier lit de Catherine n’en finissait pas de s’expatrier. Le cocu semblait avoir décidé de s’éterniser à Amsterdam ! Et comme, même au XIX e siècle, la Hollande n’était pas très éloignée de Neuilly, il convenait bien de se méfier.
— Il est inconcevable qu’il prolonge son séjour chez vous. Il y est fort mal à propos. Il faut qu’il s’embarque sans délai vers les terres australes, ordonna-t-il alors à son homologue des Pays-Bas, un certain Van der Goef.
À la suite de quoi monsieur Grand se résigna enfin à voguer vers la pointe sud de l’Afrique d’où il ne donna plus jamais le moindre signe de vie.
Que la fête commence !
La fête à Neuilly, donc, le 9 septembre 1802, dans la
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