Talleyrand, les beautés du diable
maison de campagne (car il s’agissait alors d’un village) que Charles Maurice avait achetée à son ami Sainte-Foix, un petit château qui était situé à l’angle de nos actuels boulevards de la Saussaye et d’Argenson.
On imagine le cocktail !
Outre les deux frères de l’évêque défroqué, Boson et Archambaud de Périgord, il y avait là des notaires, une belle tribu d’hommes politiques – évidemment accompagnés de leurs égéries – et il y avait aussi les trois consuls, à savoir Lebrun, Cambacérès et... Bonaparte, « en bas blancs et culotte courte ».
Bonaparte avec Joséphine qui était radieuse mais qui se gardait bien de trop sourire car, on le sait, dès cette époque, elle avait une denture qui aurait fait la fortune d’un de nos modernes prothésistes.
N’était que le fidèle valet de chambre Courtiade pour afficher grise mine et se lamenter de cette union qu’il ne trouvait pas du tout à son goût.
— Dire que nous avons eu madame de Brionne, madame de Flahaut, madame de Staël, madame de... Ah ! finir par nous loger comme cela, c’est à peine croyable !
— Le pouvoir que son épouse exerçait sur lui avait cela de repoussant qu’on ne pouvait lui assigner que la plus charnelle origine, maugréait aussi le comte Molé.
Et le lendemain en fin de matinée, tout le monde se retrouvait rue de Verneuil, à l’Hospice des incurables.
Non par suite d’une intoxication alimentaire qui aurait été due à des amuse-gueule manquant de fraîcheur – on sait combien Charles Maurice était exigeant sur la qualité des mets –, mais parce que, désaffecté, cet hospice-là était tout simplement devenu la mairie du X e arrondissement.
Les témoins de madame étaient le général-ambassadeur Beurnonville et Radyx Sainte-Foix ; pour monsieur, le vice-amiral Bruix et Pierre-Louis Roederer, président de la section de l’Intérieur du Conseil d’État.
— Madame Catherine-Noëlle Worlée, née le 21 novembre 1762 à Tranquebar, colonie danoise en Asie, voulez-vous prendre pour époux... ?
— Monsieur Charles Maurice Talleyrand-Périgord, né le 13 février 1754 à Paris, département de la Seine, voulez-vous prendre pour épouse... ?
Charles Maurice a commis un horrible mensonge en faisant rédiger son contrat de mariage sur lequel il est en effet stipulé que Charles Daniel Talleyrand-Périgord et Alexandrine Victoire Éléonore Damas d’Antigny, ses parents, étaient tous deux décédés.
Or, bien qu’elle ne fût plus une jeune première, sa mère vivait encore. En exil dans le duché de Brunswick. L’histoire ne dit pas quelle fut sa réaction, l’année suivante en rentrant à Paris, quand elle apprit que pour convoler en « justes » noces, son fils aîné l’avait déclarée défunte... sept ans avant qu’elle ne quitte réellement ce bas monde, à l’âge de quatre-vingt-un ans, dans son logement de la rue d’Anjou.
Il est vrai qu’elle serait peut-être morte prématurément d’émotion si Charles Maurice lui eut demandé son consentement pour commettre un tel méfait.
Surtout si elle avait su qu’il avait poussé le sacrilège jusqu’à faire bénir son union devant les saints des autels !
Ce qui était tout de même audacieux.
Et comment diable avait-il manoeuvré pour qu’un curé acceptât de tremper dans cette infamie ?
En réalité il avait laissé agir un de ses amis, le naturaliste Lacepède qui était président du Sénat et qui vivait à Épinay-sur-Seine.
À Épinay, où Catherine Grand était officiellement domiciliée, il existait en effet un prêtre nommé l’abbé Pourez, qui était en fonction depuis plus de trente ans et qui, allez savoir pourquoi, n’avait jamais ressenti la moindre secousse révolutionnaire.
— Avant, pendant et après la Terreur, monsieur Pourez s’était occupé de ses ouailles sans s’inquiéter de ce qui se passait au-dehors, raconte le chanoine Tisani.
À tel point qu’il semblait même ignorer que Charles Maurice avait un jour été évêque d’Autun.
— C’est donc en abusant de la simplicité de ce brave curé que Talleyrand parvint à faire bénir son mariage, poursuit le chanoine pour qui L’Église de Paris sous la Révolution n’avait aucun secret. Monsieur Pourez accepta les dires de Lacepède et supposa qu’avant de recourir à son ministère les futurs conjoints s’étaient mis en règle avec les autorités ecclésiastiques. Ce n’était pas à lui,
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